Rendez-vous manqué

Matthieu 2:1-18

Culte du 7 janvier 2018
Prédication de Jean-Pierre Rive

Vidéo de la partie centrale du culte

L’histoire des Rois Mages est on ne peut plus populaire. Il semble que très tôt dans l’histoire de l’Eglise, ce récit, cette fiction devrait-on dire, faisant surgir auprès du petit enfant emmailloté de Bethléem d’importants étrangers a activé, catalysé l’imagination de tous, et a contribué au caractère merveilleux et féerique de la scène. Si l’évangile de Matthieu reste sobre dans sa narration en prenant soin de l’enraciner dans des textes prophétiques anciens, c’est seulement au VIe siècle que les mages deviennent des rois, trois rois : Melchior, Balthazar et Gaspard, que nous connaissons par un Evangile apocryphe, dit « Evangile Arménien ». Les Réformateurs, quant à eux, reprenant des thèmes évoqués par les Pères de l’Eglise insisteront sur deux sens majeurs de ce texte : d’une part la portée pour ainsi dire cosmique de la naissance de Jésus : l’Etoile figurant l’obéissance de toute la création à son Seigneur, lorsque désertant son orbite naturelle, elle va orienter sa course vers cette maison de Bethléem, qui devient aussi le lieu de ralliement de tout et de tous. Le lieu de récapitulation de toute la création, car si Jésus rassemble le cosmos, il rassemble aussi tous les hommes, c’est ainsi que les mages apparaissent comme le premier signal fort de l’extension du salut à tous les peuples. La venue du Messie, Roi des juifs, n’est pas un événement pour la seule histoire du peuple d’Israël, mais pour toutes les histoires de tous les peuples même les plus éloignés de cette Terre promise.

Aussi se nouent autour de ce texte une multiplicité de sens dans lesquels nos prédécesseurs ont trouvé de quoi alimenter les nécessités d’une prédication de l’Evangile toujours actualisée. C’est le propre d’un texte vivant, parce que lu et relu, par la succession des générations, d’apporter dans un contexte toujours différent une lumière sur nos chemins. Pour ma part, ce matin, c’est à deux lectures de ce texte que je voudrais m’employer. Tout d’abord, je parlerai d’un rendez-vous manqué : rendez-vous manqué entre le pouvoir politique et la souveraineté de Dieu, en m’intéressant à Hérode et son entourage. Ensuite j’évoquerai le thème de la Rencontre, à propos des mages et de leurs itinéraires, rencontre des cultures entre elles, mais aussi avec ce qui les animent, ce qui donne du sens à chacune d’elles. Et puis, pour terminer, portant notre attention sur Joseph et Marie discrètement présents dans cette scène, j’essaierai de tirer quelques enseignements au sujet de la place que peut avoir l’Eglise aujourd’hui dans la transmission de l’Evangile à ceux qui viennent de loin.

Je disais donc tout d’abord un rendez-vous manqué : si l’on examine l’attitude d’Hérode, on se rend compte que son pouvoir est totalement soumis à la peur. Hérode barricadé derrière les murailles de Jérusalem, enfermé dans tous les savoirs que lui dispense une cour de prêtres, de notables, d’experts dirions-nous aujourd’hui, tous attachés à leurs prérogatives, honoré par une partie du peuple soucieuse de glaner deci-delà quelques avantages en flattant le souverain, Hérode centré sur lui-même vit dans la peur. Car il sait bien que le pouvoir acquis à coup de manipulation, de trahisons, est un pouvoir qui à tout moment peut se dérober sous ses pieds. Paralysé par la peur, il est déjà pour ainsi dire mort lorsqu’arrive à ses oreilles la question des mages, « où est le Roi des juifs ? », lui qui a été nommé Roi des juifs par l’Empereur de Rome, comprend qu’il n’est plus personne, qu’il ne représente rien. Aussi, est-il pris de trouble, d’agitation, de panique et dans un élan désespéré de survie, pour conjurer ce qu’il croît être un mauvais sort, dans un sanglant exorcisme, il va décider de faire mettre à mort tous les concurrents potentiels à son pouvoir que sont les petits garçons natifs de Bethléem. Hérode, bouclé dans sa peur, passe de l’agitation à la rage, de la rage à la colère, au fur et à mesure que ceux qu’il a convoqués auprès de lui, les mages, puis les scribes, lui révèlent le vide de son pouvoir, la vacuité de son existence, la fin prochaine inéluctable de son règne.
Au fond, ce rendez-vous avec les mages aurait pu être salutaire pour Hérode, qui bien qu’usurpateur en quelque sorte de son pouvoir, aurait pu se repentir et le réinscrire dans la grande tradition davidique de certains rois d’Israël pour qui gouverner, c’était avant tout servir (on pense ici à Salomon), servir un peuple au nom de la seule souveraineté du Dieu libérateur. Mais Hérode refuse ce rendez-vous, et se plonge dans un enfermement mortel, mortel pour les enfants d’Israël, mortel pour lui-même, puisque nous disent ses biographes, il mourra peu de temps après cet épisode dans d’atroces douleurs.

Pour prolonger cette réflexion, je me pose une question, au-delà de la figure d’Hérode, usurpateur notoire et reconnu, je me demande si n’affleure pas dans ce passage, l’antique prudence de tous les prophètes, depuis Samuel, devant ce désir de Roi qu’exprimait Israël pour faire « comme tous les peuples voisins », comme si tout pouvoir, quelque soit sa nature, n’était pas tenté d’oublier ses limites ; comme si tout pouvoir en se déclarant souverain, au lieu de se faire serviteur de tous, était menacé, par l’autosuffisance, l’arrogance et le déni des réalités. En rappelant à Hérode que le Roi des juifs est ailleurs, les mages à l’instar des prophètes rappellent que si gouverner ce n’est pas servir, servir jusqu’à donner sa vie, alors c’est se condamner à se la faire enlever après l’avoir enlevée, au propre et au figuré à ceux dont on a la charge.  C’est cela, me semble-t-il, l’enseignement majeur, d’une actualité toujours renouvelée, auquel nous devons être particulièrement attentifs aujourd’hui. Alors, en contrepoint de cette figure de mort et de mensonge, l’évangile nous met en présence de personnages mystérieux dont on ne sait rien, ni leur nom, ni leur nombre. On sait simplement qu’ils viennent de loin pour adorer le vrai roi des juifs, et lui offrir des présents très symboliques : l’or insigne royal, l’encens parfum lié à des célébrations religieuses, et la myrrhe dont on se servait pour embaumer les morts. Certains ont vu d’ailleurs dans ce dernier détail une allusion à la mort de Jésus, d’autant plus que l’appellation Roi des juifs que Matthieu met dans la bouche des mages est la même que celle que l’on trouvera inscrite sur la Croix.

Autant l’épisode d’Hérode nous relate une triste histoire de fin de règne, autant l’histoire des mages nous met en présence d’un chemin d’attente, couronné d’une très grande joie, accomplie dans la plénitude d’une rencontre avec le Roi des juifs, le Messie. Au passage, rappelons que l’évangile de Matthieu est rédigé pour des juifs qui viennent d’être exclus de la synagogue parce qu’ils sont des disciples de ce Jésus de Nazareth, et qu’il est fondamental de leur rappeler que ce Jésus est bien le Roi des juifs, le Messie qui était attendu par Israël. Ceci dit, donc, les mages viennent à Jésus sans avoir entendu les prophètes, étrangers à l’attente messianique d’Israël, ils cherchent le Roi des juifs, en qui visiblement, sinon pourquoi se seraient-ils déplacés, ils voient la clef, le sens ultime, la vérité de leurs cheminements, depuis qu’une étoile, une lueur les guide à travers les nuits de l’histoire des hommes. Serait-ce donc que tout chemin d’homme, que toute histoire de toutes les nations, ne trouve son sens, sa vérité, que dans la rencontre avec le Christ. Ici en effet, il s’agit bien de cela, des mages, des religieux, peut-être même des hommes ayant un certain pouvoir, respectés et reconnus dans leur patrie se mettent en quête du véritable sens de l’existence humaine, se mettent à la recherche de celui dont ils pensent qu’il est la clé de voûte, la pierre angulaire de tout édifice, de toute aventure humaine. La civilisation dont ils proviennent n’est certainement pas sans ressources, pourtant ces pèlerins, ambassadeurs de peuples en marche par delà le confort bien établi d’une civilisation élaborée, cherchent pour eux et pour cet Orient nombreux un accomplissement, la résolution d’un manque ; comme si un creux était inscrit au cœur de toute histoire, comme si un vide était au centre de toute communauté organisée. Un manque, et donc une attente sur laquelle peut se greffer une espérance.

Alors au fond, ce que nous dit ce texte, c’est que c’est dans une rencontre que l’avenir s’éclaire, c’est dans un déplacement que se fécondent les cultures qui organisent l’histoire des peuples. Et en particulier la rencontre avec le Christ est déterminante pour les mages, car ce petit Roi des juifs devient pour eux le révélateur de leur attente intime. Ils découvrent que la vérité qu’ils cherchent n’est pas figée dans un espace et dans un temps ; elle ne leur était pas donnée dans l’enfermement de leurs origines, elle ne leur est pas plus donnée une fois pour toutes dans l’adoration de cette naissance. Elle leur est donnée dans les chemins qu’ils empruntent, pour quitter leurs certitudes un peu trop établies, et rencontrer cet enfant mystérieux dont ils soupçonnent qu’il est le pivot de tout avenir heureux, et surtout pour rentrer chez eux enfin par d’autres chemins, renouvelés, transfigurés, par une rencontre salvatrice. La rencontre avec le Christ, le Messie, la présence incarnée de l’achèvement dans la paix et la justice de toute histoire personnelle ou collective, est ce moment favorable où toutes les potentialités des aventures humaines se déverrouillent pour des libérations inimaginables des accomplissements imprévisibles, inattendus et comblés de bénédiction. La rencontre des mages avec le Messie, c’est aussi la rencontre féconde entre les cultures. Les mages en effet arrivent guidés par un astre, un peu comme des devins, dont on sait à quel point Israël les détestait, et ils repartent guidés par un songe qui est le lieu même par excellence où le Dieu d’Israël s’exprime. Les mages ont accompli un pas de côté par rapport à leurs traditions et Israël renonce à s’approprier ce Messie en laissant les mages rentrer chez eux, porteurs de la bonne nouvelle, pour toutes les nations. Les mages rentrent chez eux, ils vont retrouver leur vie, leurs temples, leurs affaires. Mais ils savent maintenant que les peuples peuvent se croiser, s’enrichir mutuellement, s’aimer, s’accueillir, échanger leurs enracinements, métisser leurs identités, parce qu’un petit enfant fragile, vulnérable, est né, et que cette naissance comme toute naissance d’ailleurs est promesse d’avenir pour ceux qui savent l’accueillir.

Alors pour conclure, un mot sur Joseph et Marie ; un texte est toujours l’occasion lorsqu’il met en scène des personnages, pour les lecteurs, de s’identifier avec tel ou tel protagoniste. Ainsi nous pouvons nous identifier aux mages, ces pèlerins heureux d’une vérité en mouvement ; par contre, nous avons du mal à nous identifier à Hérode, à ses proches et pourtant cela peut éventuellement nous prévenir de certaines tentations ; mais nous pouvons aussi nous identifier à Joseph et à Marie, dont la présence discrète indique en fait une seule chose : ils font en sorte que la vérité, c'est-à-dire la vie de ce petit enfant, soit bien entendue, protégée, mais surtout mise à disposition, rendue accessible à tous, même à ceux qui sont venus, qui viennent et viendront de loin.

Pas de main mise jalouse sur un trésor que l’on conserve comme une relique, ou une nouvelle idole, pas d’appropriation stérile d’une vérité qu’on veut garder pour soi, codifier, imposer à tous ; mais simplement l’accueil, l’ouverture à tous ceux qui même venant de loin, que ce lointain soit géographique, culturel, religieux ou social, aspirent à la rencontre avec le fils de l’homme, l’enfant de Noël en qui s’accomplit la véritable humanité. J’y vois là une exhortation, à ne pas confondre nos héritages avec la Bonne nouvelle. J’y vois pour l’Eglise l’exigence impérieuse d’être témoin d’une présence et non pas poste frontière ou barrières douanières, gendarme d’une orthodoxie, figée et paralysante fusse-t-elle parée de la modernité « Au plus près du plus loin », c’est semble-t-il ce que ce texte nous rappelle ; le Christ est venu pour transformer la vie, il s’est exposé pour que toute femme, tout homme, toute nation, tout peuple puisse le rencontrer, et en le rencontrant y trouve la libération de toutes les servitudes, la vérité de sa vie et de son histoire.

Alors ne gardons pas la main fermée sur le Christ, le cœur libre, la pensée sans peur, soyons simplement, mais véritablement des témoins de cette présence vivante, alors la gloire du Christ libérera tous les peuples, et la lumière de son épiphanie illuminera la création toute entière.

Amen

Lecture de la Bible

1 Jésus étant né à Bethléhem en Judée, au temps du roi Hérode, voici des mages d'Orient arrivèrent à Jérusalem, 2 et dirent : Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l'adorer. 3 Le roi Hérode, ayant appris cela, fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. 4 Il assembla tous les principaux sacrificateurs et les scribes du peuple, et il s'informa auprès d'eux où devait naître le Christ. 5 Ils lui dirent : A Bethléhem en Judée; car voici ce qui a été écrit par le prophète : 6 Et toi, Bethléhem, terre de Juda, Tu n'es certes pas la moindre entre les principales villes de Juda, Car de toi sortira un chef Qui paîtra Israël, mon peuple. 7 Alors Hérode fit appeler en secret les mages, et s'enquit soigneusement auprès d'eux depuis combien de temps l'étoile brillait. 8 Puis il les envoya à Bethléhem, en disant : Allez, et prenez des informations exactes sur le petit enfant; quand vous l'aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j'aille aussi moi-même l'adorer. 9 Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici, l'étoile qu'ils avaient vue en Orient marchait devant eux jusqu'à ce qu'étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s'arrêta. 10 Quand ils aperçurent l'étoile, ils furent saisis d'une très grande joie. 11 Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l'adorèrent; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe. 12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin. 13 Lorsqu'ils furent partis, voici, un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, et dit : Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu'à ce que je te parle; car Hérode cherchera le petit enfant pour le faire périr. 14 Joseph se leva, prit de nuit le petit enfant et sa mère, et se retira en Egypte. 15 Il y resta jusqu'à la mort d'Hérode, afin que s'accomplît ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète : J'ai appelé mon fils hors d'Egypte. 16 Alors Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléhem et dans tout son territoire, selon la date dont il s'était soigneusement enquis auprès des mages. 17 Alors s'accomplit ce qui avait été annoncé par Jérémie, le prophète : 18 On a entendu des cris à Rama, Des pleurs et de grandes lamentations : Rachel pleure ses enfants, Et n'a pas voulu être consolée, Parce qu'ils ne sont plus.

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