Le miracle comme conversion de la vie en récit

Marc 1:9-13 , Marc 4:35-41

Culte du 14 octobre 2018
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

Ça souffle fort ce matin dans l’Évangile de Marc.
Pourquoi dis-je que ça souffle fort ? Parce qu’il est question d’Esprit qui parle dans le ciel, d’Esprit qui jette Jésus dans le désert, et de tempête qui souffle et à qui Jésus demande de se taire. Et, pour dire « Esprit », en grec, on utilise le mot pneuma, c’est-à-dire souffle, et même souffle de vie, celui avec lequel Dieu donne la vie aux êtres humains dès le récit de la Genèse dans la traduction biblique.

A la fin du mois, nous allons voir un peu partout réapparaître les citrouilles d’Halloween, les araignées et les sorcières, et il ne faudrait pas que les Esprits qui soufflent dans la Bible soient confondus avec ceux qui rôdent tels des fantômes dans les légendes celtiques. Aucun danger, me direz-vous, le paganisme, les croyances occultes n’ont rien à voir avec les récits évangéliques. Pourtant, dans la Bible, sont aussi présentes des forces occultes. On peut citer : le diable, le Satan, les esprits impurs, Beelzéboul, l’Adversaire, bref, toute la collection des êtres ténébreux qui visent à faire peur aux enfants et aux grands depuis de nombreux siècles ! Il est temps, de prendre notre balai et de faire, non pas comme les sorcières qui s’envolent assises dessus dans les contes, mais comme les gens organisés qui font leur ménage chez eux, et de regarder de près de quoi l’on parle quand on invoque ces entités.

Dans le récit du baptême de Jésus, l’Esprit, le pneuma, intervient deux fois, la première pour faire entendre une parole qui dit de Jésus que la joie de Dieu est en lui : « Celui-ci est mon fils bien aimé, en lui j’ai mis ma joie » ; et l’on retrouve le même « Esprit » une seconde fois, qui pousse Jésus dans le désert où l’on dit que « le Satan » le met à l’épreuve. Que ce soit l’Esprit ou le Satan, ils sont précédés tous deux d’un article défini, comme si on en connaissait l’identité ; l’Esprit et le Satan. Comme s’ils étaient devenus les personnages d’un même conte fantastique. Ils ont un caractère, une fonction, une force, ils sont sujets d’une action alors que Jésus semble bien passif. On a l’impression que l’Esprit est un peu versatile et qu’il est tantôt bon, tantôt mauvais. Tantôt parlant d’une voix réconfortante à Jésus et tantôt le jetant dans le désert où le Satan l’attend. Mais qui est ce Satan dont parlent les Écritures ?

Le Satan, c’est l’Adversaire, c’est-à-dire le contradicteur qui cherche à vous pousser à la faute, à dire le contraire de ce que vous voulez dire. Dans le Psaume 109, il est écrit: « confie-le à un méchant, qu’un adversaire se tienne à sa droite ! Quand il sera jugé, qu’il soit condamné, et que sa prière passe pour un péché ». Au fil du temps, l’Adversaire est devenu le méchant, celui qui souhaite la chute de l’autre et qui transforme la vérité en mensonge et le mensonge en vérité. L’Évangile de Marc parle du Satan, alors que L’Évangile de Matthieu parle du diable pour raconter la même chose. Le diable, est celui qui divise le jugement : diabolos. Il est, lui aussi, représenté comme un personnage qui repère la division dans le coeur de l’homme et qui fait que nous ne faisons pas le bien que nous voudrions faire et que nous faisons le mal que nous ne voulions pas faire. C’est cette petite voix qui nous dit : « ce n’est pas grave si je fais ce qui est défendu, pour une fois…cela ne se verra pas ».

C’est ce qui nous pousse à faire le contraire de ce à quoi nous nous destinons nous-mêmes et de ce à quoi Dieu nous destine. C’est ce qui divise nos intentions et nos actes. Le diable n’est pas le contraire de Dieu, le diable est le contraire du symbole : sun-bolè / dia-bolè en grec. Là où le symbole unit, le diable divise. On comprend mieux alors ce qui a pu se passer dans ce fameux désert. Jésus vient de recevoir le baptême de Jean. C’est un baptême de conversion, qui implique une décision de changement de comportement, pour ceux qui le reçoivent. Jésus reçoit donc ce baptême comme gage de son changement de comportement.

Et à ce moment-là, l’Esprit, le souffle de vie donné par Dieu à tout homme, dit à Jésus qu’il vient d’être adopté par Dieu, que son identité a changé. Il n’est plus Jésus de Nazareth, fils de Marie et de Joseph, il est devenu Jésus Fils de Dieu. Les quarante jours au désert sont une autre forme de purification que celle du baptême que propose Jean, en effet, durant cette quarantaine, Jésus se trouve face à lui-même et à cette nouvelle identité de Fils de Dieu qu’il a entendu en son coeur pendant son baptême. Comment un homme pourrait-il endosser le rôle de Fils de Dieu sans se prendre lui-même pour Dieu ? Comment ne pas désirer la toute puissance de Dieu pour soi ? L’épreuve que Jésus doit surmonter c’est celle qu’implique sa mission : résister à la tentation d’être tout puissant et de s’émanciper de Dieu.

A la tentation de prendre le pouvoir. L’Évangéliste Matthieu met en scène cette tentation avec beaucoup de détails, contrairement à l’Évangéliste Marc, et il montre le diable proposant à Jésus le pouvoir de changer les pierres en pain, le pouvoir de braver la mort en se jetant du haut de la montagne, et enfin, le pouvoir de dominer sur tous les peuples de la terre. Comme dans de nombreux contes initiatiques, le héros des Évangiles est lui aussi tenté. Comme, par exemple, dans l’épopée de Tolkien, le Seigneur des anneaux, où le héros est sans cesse tenté de prendre le pouvoir grâce à l’anneau d’or, alors qu’il n’est que son transporteur, et non pas son propriétaire. Dans ce conte, un être devenu misérable et appelé : Gollum, est l’esclave de la tentation que représente l’anneau. Toute sa vie, il poursuit cet anneau d’or, comme hypnotisé par le pouvoir qu’il donne. C’est cette question du mandat et du pouvoir qui est au coeur de la vocation de Jésus racontée par les Évangiles. Qu’est-ce que Jésus fera de cette adoption accordée par Dieu lors de son baptême? S’en servira-t-il pour être le tyran, le faiseur de miracles ou l’être éternel, intouchable par la mort ?

Ce n’est pas possible, me direz-vous, Jésus ne peut succomber à la tentation. Le problème, c’est que pour les Évangélistes, Jésus vient en nouveau roi, régnant sur le monde entier au nom de Dieu, il est éternel, puisque même mort, il est ressuscité, et durant tout son ministère, on le présente comme un faiseur de miracles. Le récit de la tempête apaisée nous le présente commandant au vent et à la mer, attribution d’habitude donnée à Dieu seul. Aurait-il succombé à la tentation de se prendre pour Dieu ?

Où est la limite entre le médiateur et l’usurpateur ? Que nous disent ces tours de forces que les Évangiles racontent sans cesse pour accréditer le fait que Jésus est bien envoyé de Dieu ? Et qui ont fini par provoquer la confusion entre Dieu et Jésus. Un miracle c’est ce qui outrepasse les lois de la nature. le philosophe John Locke écrit, dans son Discours sur les miracles: « Il me semble qu’un miracle est une opération sensible, que le spectateur regarde comme divine, parce qu’elle est au-dessus de sa portée et contraire même, à ce qu’il croit, aux lois établies de la nature. »

Si un matin, le soleil ne se levait pas? ce serait une exaction aux lois de la nature, et l’on pourrait parler de miracle. Un autre philosophe, David Hume, écrit, dans son Enquête sur l’entendement humain: « Pourquoi est-il plus que probable que tous les hommes doivent mourir, que du plomb ne peut, de lui-même, rester suspendu en l’air ? que le feu consume le bois et que l’eau l’éteint ? sinon parce qu’on a trouvé que ces événements étaient conformes aux lois de la nature ; et il faut donc une violation de ces lois ou, en d’autres termes, il faut un miracle pour les empêcher de se produire. On n’estime pas qu’un fait est miraculeux s’il lui arrive de se produire dans le cours commun de la nature. »

Le miracle serait donc la chose absolument improbable qui se manifesterait quand même, contre toute attente. Le problème, c’est que nous ne connaissons pas toutes les manifestations naturelles, et que nous ne pouvons pas tout prévoir. Il arrive qu’une tempête se lève aussi subitement qu’elle se calme et cela n’a pas grand chose à voir avec l’action de Dieu. Les météorologues ont tous connaissances de manifestations très étranges et spectaculaires, qui s’expliquent pourtant par des causes maintenant connues des scientifiques.

Ce n’est donc pas parce qu’une chose est très improbable qu’elle est à classer parmi les miracles. Les miracles de Jésus ne relèvent pas des sciences et des lois la nature. Les miracles sont souvent, dans les Évangiles, assez décevants : un homme est malade, ou handicapé, il rencontre Jésus et il suffit d’un mot, d’une phrase pour que la personne soit dite sauvée, guérie, remise debout, parfois même ressuscitée. Pas de choses extraordinaires, donc, mais un échange entre deux personnes. C’est sans doute dans cette rencontre entre ces deux personnes qu’il faut chercher le miracle, plus que dans le merveilleux de la situation.

Dans ces actes de puissance, les guérisons, les résurrections, les prodiges naturels, Jésus parle toujours de foi. « Va, ta foi ta sauvé » est sans doute la phrase à retenir de tous ces récits de miracle. Dans ce récit de la tempête apaisée, Jésus demande aux disciples apeurés : « n’avez-vous pas de foi ? » La foi dont parle Jésus n’est pas la foi en lui, car alors il se prendrait vraiment pour Dieu. La foi dont il parle c’est la foi en Dieu, lequel adopte les humains qui se tournent vers lui et les prend pour ses enfants. C’est la foi que lui-même a en Dieu le Père, un Dieu aimant, en qui l’on peut espérer de manière infinie. Un Dieu en qui l’on peut placer son espérance même des choses les plus improbables.

Que l’aveugle voie de nouveau, que le paralysé bouge de nouveau, que le muet parle et le sourd entende à nouveau est très improbable, et que le mort vive de nouveau l’est encore plus, mais si l’on n’espère rien, si la vie n’est qu’une longue suite de fatalités, alors que devient notre vie ? Pour qui et pour quoi se battra-t-on ? Que deviennent tous ceux qui ne sont plus ou pas conformes à l’idée que l’on se fait d’une vie humaine ? La définition de l’être humain que Jésus incarne, est celle du croyant et du fils de Dieu. Un homme c’est d’abord, selon le modèle proposé par Jésus, un être fini qui croit à l’infini et qui devient de ce fait, fils de Dieu, c’est-à-dire héritier d’une part de cet infini en lui. Voilà le miracle le plus édifiant de tous et qui donne sans doute la clé de tous les autres récits de miracles des Evangiles.

Alors bien sûr, cela n’empêche pas la maladie, le handicap, la mort, la souffrance, ni le mal. Mais cela leur donne un sens dans un récit : le récit de notre propre existence. En effet, il s’agit bien ici de récit de vie et non du réel dans sa violence et sa brutalité. Que disons-nous de notre propre vie ? Comment l’envisageons-nous ? C’est la question à laquelle tous les enseignements de Jésus cherchent à répondre.

Bien sûr, le diable n’existe pas comme une personne réelle, bien sûr, le Satan n’existe pas comme un être maléfique qui rôderait pour nous faire du mal. Mais raconter sa présence comme celle d’un adversaire, dire qu’il est là pour diviser notre jugement, c’est regarder dans notre vie ce qui nous empêche d’espérer. Et le personnifier de la sorte, a plusieurs vertus : l’identifier comme étranger à notre vocation d’homme, et pouvoir mieux le mettre dehors, quand nous le surprenons à travailler en nous. La personnification du mal permet de savoir contre quoi l’on doit se battre.

Et puis, ce n’est pas si simple de décrire les mécanismes mortifères en nous, dire ce qui nous fait mal moralement. Le passage par la création de personnages, n’est pas une technique si mauvaise, à condition de ne pas en faire une arme de persuasion contre les plus crédules. Malheureusement, les églises de tous les temps ont utilisé cette ruse pour faire plier la volonté des fidèles les plus vulnérables. Et encore aujourd’hui, et notamment dans le protestantisme et même dans notre Église Protestante Unie de France.

Bien sûr aussi, les miracles au sens de violation des lois de la nature n’existent pas, nous ne connaissons simplement pas tout de ce que nous appelons nature. Mais cela ne veut pas dire que les récits de miracles sont à rejeter de notre lecture des Évangiles. L’important, ce qui sauve véritablement nos vies, c’est la mise en récit. Les mots dont nous disposons pour mettre nos vies à distance et permettre de créer cet espace nécessaire pour accueillir une parole qui sauve, pour rêver notre vie malgré les fermetures partout présentes, pour espérer, former des voeux, malgré l’incertitude de l’avenir.

Raconter qu’une tempête s’apaise par une attitude courageuse et des mots dits avec l’autorité d’un fils de Dieu, c’est raconter l’espoir de vaincre la peur qui sclérose nos projets. Raconter qu’un paralysé prend son grabat et marche, c’est raconter que, même quand tout semble immobilisé dans nos vies, il y a toujours la vie et donc l’espoir d’un avenir vivable. Raconter qu’un aveugle recouvre la vue, c’est raconter qu’il y a toujours une chance pour que se révèle Dieu dans nos vies. Raconter la purification du lépreux, c’est raconter qu’on a beau être l’impur de l’autre, on reste l’enfant de Dieu.

Raconter.

Mettre en récit. Voilà le pouvoir divin qui a été confié aux hommes pour qu’ils pensent leur vie et lui donne forme ; librement. Jésus est devenu le Christ, le Messie que les croyants attendaient, parce qu’il a fait de sa vie un récit de salut. Il n’a pas succombé à la tentation d’utiliser ce récit pour prendre le pouvoir sur Dieu. Se convertir au Dieu de Jésus Christ, c’est peut-être faire de nos vies un Évangile, écrire une bonne nouvelle de salut, faire le récit de la présence de Dieu en nous.

Amen

Lecture de la Bible

Marc 1/9-13
9 En ces jours-là Jésus vint, de Nazareth de Galilée, et il reçut de Jean le baptême dans le Jourdain.
10 Dès qu'il remonta de l'eau, il vit les cieux se déchirer et l'Esprit descendre vers lui comme une colombe.
11 Et une voix survint des cieux : Tu es mon Fils bien-aimé ; c'est en toi que j'ai pris plaisir.

12 Aussitôt l'Esprit le chasse au désert.
13 Il passa quarante jours dans le désert, mis à l'épreuve par le Satan. Il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient.

Marc 4/35-41
35 Le soir de ce même jour, il leur dit : Passons sur l'autre rive.
36 Après avoir renvoyé la foule, ils l'emmènent comme il était, dans le bateau ; il y avait aussi d'autres bateaux avec lui.
37 Survient une forte bourrasque : les vagues se jetaient dans le bateau, déjà il se remplissait.
38 Lui dormait à la poupe sur le coussin. Ils le réveillent et lui disent : Maître, nous sommes perdus et tu ne t'en soucies pas ?
39 Réveillé, il rabroua le vent et dit à la mer : Silence, tais-toi ! Le vent tomba et un grand calme se fit.
40 Puis il leur dit : Pourquoi êtes-vous peureux ? N'avez-vous pas encore de foi ?
41 Ils furent saisis d'une grande crainte ; ils se disaient les uns aux autres : Qui est-il donc, celui-ci, que même le vent et la mer lui obéissent ?

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