La vigne: une question d'identité, de don, de responsabilité et de joie

Jean 15:1-11 , Actes 9:26-31

Culte du 29 avril 2018
Prédication de Emmanuelle Seyboldt

Vidéo de la partie centrale du culte

Notes pour la prédication

L’Evangile de Jean est un texte assez clivant : le lecteur, l’auditeur entre dans son rythme, se laisse conduire ou au contraire cherche à comprendre, à décortiquer, à rationaliser, et il est vite repoussé loin du sens. C’est comme si Jean écrivait pour que seuls quelques-uns comprennent. Et peut-être est-ce vraiment cela, d’ailleurs.
C’est d’autant plus agaçant que tous les mots font partie du vocabulaire courant. Les phrases sont simples. Les images accessibles. Mais voilà, le sens, lui, reste inaccessible à la première écoute, à la première lecture. Comme une invitation à l’approfondissement, au travail du texte finalement. De la même manière que le vigneron travaille dans sa vigne, il nous faut travailler au cœur du texte pour que les fruits se révèlent.

Parmi les nombreux fruits que peut porter ce texte, au gré du travail, j’ai choisi quelques grappes pour vous. Libre à vous d’aller ensuite travailler vous aussi dans le texte pour trouver et cueillir d’autres grappes !

Mais avant d’arriver aux fruits, il faut peut-être prendre un peu de temps pour se dire à soi-même ce que l’image de la vigne évoque et comment cette évocation entrave ou facilite peut-être l’écoute du texte.

Personnellement, étant originaire de Lunel, en Camargue, la vigne, j’ai toujours su ce que c’était et, enfant, j’allais travailler dans la vigne de mes grands-parents. J’ai appris à couper les sarments en hiver, et à les mettre tous bien rangés à la même longueur. Ce sont ces sarments qui servaient de petit bois pour allumer le feu dans la cheminée. Et puis il fallait encore nettoyer le pied des vignes. En septembre, il fallait ramasser les raisins. J’ai appris à chercher le petit nœud pour bien séparer la grappe sans abîmer le sarment. J’ai appris à regarder avant de mettre la main, par précaution. Les humains ne sont pas les seuls à apprécier le raisin. J’ai appris à écraser le raisin, debout pieds nus dans une grande bassine. Ce jus de raisin-là avait, vous vous en doutez, un goût inimitable !
Ce souvenir est à la fois tout proche et incroyablement lointain.

Parler de vigne peut évoquer encore beaucoup d’autres choses pour vous : souvenirs agréables, vacances, ou corvées. C’est aussi bien sûr le vin…
Quand Jésus utilise cette image, elle est loin d’être neuve. Il récupère là un matériau ancien. Dans le premier Testament, la vigne représente le peuple que Dieu s’est choisi. Et les prophètes annoncent l’amour, l’attention ou la colère de Dieu avec cette image. Quand Dieu montre son amour à son peuple, il est décrit comme le vigneron amoureux, qui prend soin de la vigne, l’entoure d’un mur pour la protéger des bêtes sauvages, construit un pressoir et une tour pour veiller sur les voleurs. Mais quand Dieu est en colère, le prophète annonce que la clôture de la vigne va être renversée et la vigne livrée en pâture aux animaux.

Poursuivant la tradition du judaïsme, Jésus va mettre en scène cette image du peuple-vigne, par exemple dans la parabole des vignerons meurtriers. Il s’agit alors de critiquer voire d’accuser les responsables et les chefs qui ne prennent pas soin du peuple. Ou encore dans la parabole des ouvriers de la 11ème heure, il s’agit pour les ouvriers d’être envoyés pour travailler dans la vigne, peuple choisi par Dieu.
Voilà donc une image simple, de la vie de tous les jours dans la Palestine du temps de Jésus, un symbole courant pour les habitués, les connaisseurs de la Bible.
Pourtant, quand Jésus, dans l’évangile selon Jean, tient ce long développement viticole, il opère un véritable déplacement du sens de l’image. La vigne n’est plus le peuple que Dieu s’est choisi, mais Jésus lui-même.

1ère grappe : une question d’identité
Je suis la vraie vigne, c’est moi qui suis la vraie vigne… Dans l’Evangile de Jean, Jésus énonce sept « Je suis » : Je suis le pain de vie, je suis la lumière du monde, je suis la porte, je suis le bon berger, je suis la résurrection et la vie, je suis le chemin, la vérité et la vie, et enfin, le dernier « Je suis la vigne, vous êtes les sarments ».
Sept « je suis » qui devrait permettre au lecteur d’en savoir un peu plus sur Jésus, mais qui dévoilent sans dévoiler.
Comme Dieu lui-même, rencontrant Moïse du cœur du buisson ardent. Quand Moïse demande le nom de celui qui lui parle, Dieu répond « Je suis qui je suis » (ou qui je serai… inaccompli… c’est en cours et ce n’est pas achevé). « Tu diras aux enfants d’Israël « Je suis » m’a envoyé vers vous ».
Jésus reprend ce « Je suis » à son compte et le met en musique. Il dit quelque chose de son identité, mais elle reste insaisissable, comme celle de son Père.

Je suis la vraie vigne (v.1) : peut-il y avoir une fausse vigne ? pourquoi Jésus est-il la vraie vigne ?
Si le peuple est la première vigne, Jésus lui est la vigne véritable, choisi par Dieu, parce qu’il est toujours demeuré dans l’amour du Père (v.10). C’est sa fidélité de Fils choisi, unique, qui atteste qu’il est la vraie vigne. Son identité, Jésus ne l’a pas arrachée, il ne l’a pas conquise, elle lui a été donnée par son Père.
Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron.

De la même manière, les sarments, vous, moi, chacune, chacun, peut accueillir une nouvelle identité. Une identité donnée, une identité de sarment ?
Je suis la vigne, dit Jésus, vous êtes les sarments. Au secours ! Je n’ai aucune envie, mais alors là, vraiment aucune envie d’être un sarment. Moi, un sarment ? Attaché, rivé à la vigne ? Soumis au caprice de celui qui va venir couper, ou ramasser la grappe ? Moi un sarment ? Sans liberté ni autonomie ? Condamné à n’être que celui qui porte le fruit, sans aucune décision ? Inacceptable. Sans compter que Jésus ajoute : tout sarment qui ne porte pas de fruit, on l’enlève. Et celui qui en porte, on l’émonde pour qu’il en porte davantage encore. Le grand feu purificateur qui crépite, très peu pour moi ! Vraiment, cette image est extrêmement pénible pour un être humain épris de liberté, d’autonomie, de libre arbitre, comme moi !
Pourtant, la liberté n’est pas nécessairement antinomique de l’attachement. Il y a lien et lien, lien d’amour et liens prisons, lien d’attachement qui porte du fruit, et lien de contrainte qui est stérile. Le lien auquel le Christ nous invite, est un lien de vie qui ne nous prive aucunement de notre liberté. Être lié mais libre. Voilà une réalité difficile à comprendre. Car elle est à vivre plus qu’à comprendre, à vivre ensemble, les uns avec les autres. Il s’agit plus du lieu d’enracinement, du lieu où l’on puisse sa nourriture.

Deuxième grappe : le don
Je suis la vigne, vous êtes les sarments : cette situation de sarments, cette condition de disciple nous est donnée. Nous n’avons pas choisi de recevoir l’Évangile, nous n’avons pas choisi d’être rencontrés par le Christ, c’est un don. Nous ne pouvons pas nous enorgueillir de cette condition de disciple qui est la nôtre, elle nous est donnée gratuitement. Pourquoi moi, pourquoi vous ? Cela nous échappe complètement. Sur la vigne, il y a des sarments. C’est ainsi. Plus encore, sur la vigne qu’est le Christ, les sarments sont très divers. Certains portent un peu de fruits, d’autres beaucoup, et ils sont même taillés pour en porter plus. Et puis certains n’en portent pas. Sur la vigne-Christ, certains sarments sont secs. J’avoue être restée bouche-bée devant ce verset. « Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l’enlève ». Il est fréquent d’entendre des discours religieux qui partagent le monde en deux : d’un côté ceux qui suivent le Christ, et de l’autre ceux qui ne le suivent pas. D’ailleurs, « ne juge-t-on pas l’arbre à ses fruits ? » (et toutes sortes de choses semblables). Mais pourtant, en Christ, il y a des sarments qui ne portent pas de fruit. En Christ. Pas en dehors de lui. Et c’est le Père qui fait le patient travail de taille.
Ce petit verset est précieux : il me redit, si c’était nécessaire, que le jugement n’est pas mon boulot. Ce n’est pas à moi, ce n’est pas à nous de savoir qui fait bien ou pas, qui est dedans ou dehors, qui est appelé et qui ne l’est pas, qui est juste devant Dieu et qui ne l’est pas. Et même, qui porte du fruit et qui n’en porte pas. Depuis quand le sarment va-t-il se mêler de couper le sarment voisin ? Quelle prétention ! En Christ, certains serments sont secs, et c’est ainsi. Nous n’avons pas à nous mêler de cela. Ce n’est pas notre boulot !

Quant aux sarments, à tous les sarments quels qu’ils soient, ils ont reçu un don : l’identité de sarment. Et ce don appelle notre reconnaissance. Régulièrement, au moment des cultes particuliers au cours desquels nous reconnaissons le ministère des pasteurs ou des conseillers presbytéraux, des catéchètes… nous remercions Dieu pour les serviteurs qu’il donne à son Eglise. Mais chaque jour, nous pouvons remercier Dieu pour les frères et sœurs qu’il place sur notre route.
Ah oui, parce que bien sûr, tout autour, il y a d’autres sarments. Je ne l’avais pas souligné, tant c’était évident pour moi ! C’est aussi un fameux don que tous ces frères et sœurs autour. Certes, je ne les ai pas choisis. Certes, il arrive que nous subissions nos voisins de vigne. Pourtant, là encore, c’est un don qu’il nous faut apprendre à recevoir en rendant grâce. On ne choisit pas là où l’on pousse et qui pousse à nos côtés. Mais nous pouvons apprendre à rendre grâce !
On pourrait encore disserter longtemps sur l’Eglise. J’ajouterais simplement que l’Eglise est donnée dès la Passion du Christ, dans cette image que Jésus donne peu de temps avant sa mort. Quand nous sommes séparés de nos frères et sœurs, nous sommes détachés du Christ lui-même. Cette image nous interpelle vigoureusement sur notre capacité à surmonter nos désaccords, au nom de notre identité semblable et donnée de sarment.
Notre qualité de sarment est donnée par Dieu et nous rendons grâce, oui, nous remercions pour tous les hommes et les femmes que Dieu appelle à se mettre au service de sa Parole. C’est dans sa fidélité qu’ils sont ancrés fortement.

3ème grappe : la responsabilité
Le don qui est fait aux sarments n’est toutefois pas sans contrepartie puisqu’il leur est demandé de porter du fruit. Mais ce fruit consiste simplement à accepter ce que le Christ fait en nous. Notre responsabilité serait alors plutôt de ne pas faire barrage, de ne pas empêcher l’Esprit d’agir en nous. Il y a toujours de mauvaises bonnes raisons pour essayer d’échapper à notre responsabilité. Occupations prioritaires, obligations familiales, et puis « la raison »… ce n’est pas raisonnable… Souvent, l’Evangile nous conduit à faire des choses déraisonnables. Je crois même que c’est la marque de fabrique du chrétien : notre responsabilité nous conduit à des actes déraisonnables. Le Christ n’a-t-il pas lui-même montré la voie en donnant sa vie pour ses amis ? Scandale pour les Juifs et folie pour les païens, l’amour de Dieu entraîne les croyants sur des routes bizarres, inattendues et insoupçonnées. Cette identité, donnée et reçue, nous invite à la responsabilité. Jésus le dit trois fois : « demeurez-en moi ». On peut considérer que c’est très statique, immobile, qu’il ne s’agit pas d’actes héroïques ! (Pourtant, nous étions prêts !) A la toute fin de la péricope, Jésus précise « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ». Garder, c’est aussi un verbe très statique à priori. Pourtant Jésus précise : « comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans son amour ». La vie de Jésus est résumée dans cette phrase. Autant dire qu’il ne s’agit pas de rester passif. Garder les commandements, cela ne signifie pas les enterrer pour éviter qu’ils ne se perdent, mais c’est en vivre et les vivre ! Quitte à ce qu’ils nous conduisent là où nous ne pensions pas aller. Quand Jésus a croisé le chemin de la femme accusée d’adultère (toute seule d’ailleurs, vous aviez bien noté cela…), il ne s’attendait sans doute pas à être confronté à cette question, et à botter en touche. C’est une franche interprétation des commandements !
Garder les commandements ne signifie pas les embaumer, les conserver dans du formol pour être certain qu’ils gardent leur forme initiale ! Bien au contraire, il s’agit de les vivre et de les conduire à être transformés par la vie. Je suis… Je suis celui qui sera…

La responsabilité est alors dans l’interprétation « fidèle à la vie », « fidèle à celui qui est la vie » et qui donne la vie à tous ceux qui sont enracinés en lui.

Quatrième grappe : la Joie
Une vigne exubérante, qui pousse des sarments tous azimuts, évoque pour moi encore la joie dont Jésus parle. « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite ».
Notre joie est parfaite quand, sarments tous enracinés dans le Christ, nous vivons tous de sa joie, dans l’amour, qui est le commandement suprême.
Les sarments ne peuvent pas être heureux tout seuls. Imaginer une vigne où pousserait un seul sarment, quelle horreur ! Non, le Christ est cette vigne exubérante, luxuriante, dont tous nous recevons la vie, dont tous nous nous nourrissons et nous réjouissons.
Tous ceux qui ont voyagé ont déjà vécu cette expérience très forte : entrer dans un temple, une église, loin de chez soi, assister au culte, même dans une autre langue que la sienne, et être tout à coup en communion avec l’assemblée, se sentir tout à coup chez soi parmi ces gens inconnus. Le lien en Christ nous fait devenir tout à coup frère et sœur de parfaits inconnus, d’étrangers que je ne comprends même pas. L’Eglise nous lie, nous relie les uns avec les autres, proches et lointains, ici et ailleurs, aujourd’hui mais aussi hier et demain. Quand on affirme dans le symbole des apôtres « la communion des saints », c’est de cela qu’il s’agit : ressentir cette joie d’être frères et sœurs avec les hommes et les femmes que le Christ appelle, engage à son service et envoie aux quatre coins du monde. Et quand ces frères et sœurs sont amenés à repartir, les liens perdurent au-delà de l’espace et du temps. La communion des saints : cela ne signifie pas que ces hommes et ces femmes sont parfaits, mais qu’ils ont été appelés, choisis, pour une mission, un service, et qu’ils ne se sont pas dérobés. Chacun d’entre nous est saint, choisi pour un service. Certains sont conduits à partir de chez eux pour un temps donné, pour être en solidarité avec une Eglise. D’autres sont appelés à œuvrer là où ils habitent, dans leur métier, au service de tous. Quelque soit le service auquel nous sommes appelés, il est de notre responsabilité de répondre présent. Ce service est notre joie et celle de l’Eglise toute entière.

Amen

Lecture de la Bible

Jean 15/1-11
1 C'est moi qui suis la vraie vigne, et c'est mon Père qui est le vigneron.
2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu'il porte encore plus de fruit.
3 Vous, vous êtes déjà purs, à cause de la parole que je vous ai dite.
4 Demeurez en moi, comme moi en vous. Tout comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure dans la vigne, vous non plus, si vous ne demeurez en moi.
5 C'est moi qui suis la vigne ; vous, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, comme moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; hors de moi, en effet, vous ne pouvez rien faire.
6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il se dessèche ; on ramasse les sarments, on les jette au feu et ils brûlent.
7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et cela vous arrivera.
8 Mon Père est glorifié en ceci : que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez mes disciples.

9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour.
10 Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi j'ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans son amour.

11 Je vous ai parlé ainsi pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète.

Actes 9/26-31
26 Arrivé à Jérusalem, Saul tentait de se joindre aux disciples ; mais tous avaient peur de lui, ne croyant pas qu'il fût disciple.
27 Alors Barnabé le prit avec lui, l'amena aux apôtres et leur raconta comment, sur le chemin, Saul avait vu le Seigneur, que celui-ci lui avait parlé, et comment à Damas il s'était exprimé avec assurance au nom de Jésus.
28 Il allait et venait avec eux à Jérusalem et s'exprimait avec assurance au nom du Seigneur.
29 Il parlait et débattait aussi avec les gens de langue grecque ; mais ceux-ci cherchaient à le supprimer.
30 Les frères en eurent connaissance ; ils le firent descendre à Césarée et le firent partir pour Tarse.

31 L'Eglise, dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie, était donc en paix ; elle se construisait, vivait dans la crainte du Seigneur et se multipliait par l'encouragement de l'Esprit saint.

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