L'immigration en France : les faits, les opinions, le débat

avec la démographe Michèle Tribalat et le président de la Cimade, Patrick Peugeo, présentés par Jean-Luc Mouton, directeur de Réforme.

« L’immigration en france : les faits, les opinions, le débat » Une grande conférence-débat a réuni sur ce thème, la démographe Michèle Tribalat et le président de la Cimade, Patrick Peugeot, le dimanche 30 mai à 18 h à l'Oratoire du Louvre, 145 rue Saint Honoré, Paris 1er.

Conférence de Michèle Tribalat, démographe

Conférence de Patrick Peugeot, président de la Cimade,

Débat entre Michèle Tribalat et Patrick Peugeot (les 50 premières minutes seulement, désolé)

Pour annoncer le débat, Réforme a publié la semaine dernière une tribune de Michèle Tribalat. Cette démographe dénonce, dans un récent ouvrage, l’angélisme et les falsifications du débat sur l’immigration en France. Ainsi que la réponse du Secrétaire Général de La Cimade. Michèle Tribalat est chercheur à l’institut d’études démographiques (ined) et auteur de Les yeux grands fermés. L’immigration en France, Denoël, 2010. « Un certain nombre d’arguments avancés dans les débats sur l’immigration relèvent de la catégorie des faits et sont pourtant énoncés comme des évidences sans souci pour leur vertu factuelle.

Couverture du livre de Michèle Tribalat

Congédier le réel

Faire passer une opinion pour un fait est un phénomène assez courant. C’est le cas lorsqu’on affirme que l’immigration est bonne pour les finances publiques et pour l’économie en général, sans autre précision. Il s’agit là d’une vérité intangible dont la remise en cause est moralement inacceptable. Mais il existe bien d’autres manières, et souvent très subtiles, de congédier le réel :

  • sélectionner des indicateurs propres à le présenter sous un jour acceptable. C’est le cas lorsqu’on prétend décrire l’immigration étrangère à travers le solde migratoire ;
  • présenter des informations tronquées ou incomplètes alors que l’on dispose d’une information plus large. Par exemple, parler de la situation actuelle à partir de données anciennes ;
  • dissimuler certaines informations ;
  • refuser d’envisager certaines questions parce qu’elles sont jugées moralement condamnables. C’est, par exemple, le cas lorsque Mona Sahlin, la ministre suédoise de l’Intégration, déclare que « les rapports entre ethnicité et délinquance, c’est un débat dont nous ne voulons pas » ;
  • ne pas disposer des outils statistiques permettant d’éclairer certaines questions et ne pas entreprendre les études nécessaires..

J’ajouterai que lorsqu’on affirme que la migration est un « bien public mondial », c’est-à-dire positif par nature, au même titre que l’eau ou la biodiversité, et dont la préservation peut justifier une action collective internationale, on tranche de manière définitive. On habite une utopie. On sort la question migratoire du champ démocratique. À partir de ce postulat, toute difficulté devient une externalité négative qu’il convient de corriger. C’est l’inadaptation des peuples à cette réalité qui fait obstacle à l’expression d’un potentiel exclusivement positif, lequel finira bien par se révéler un jour si tel n’est pas le cas aujourd’hui.

Le débat sur l’immigration se déroule au sein de normes favorisant une lecture morale, dont le cadre de référence reste la Deuxième Guerre mondiale. Un professeur de Yale aux États-Unis a donné son nom à une observation, qu’on appelle loi Godwin, d’après laquelle plus une discussion se prolonge sur Internet, plus on a de chances de voir surgir une comparaison avec le nazisme. Des ONG et institutions internationales participent à cadrer moralement le débat en traçant les limites morales du débat acceptable. C’est le cas de Fundamental Right Agency de l’UE (FRA) qurange dans la catégorie du racisme subtil la simple suggestion selon laquelle l’immigration pourrait avoir un coût économique.

Une des conséquences évidentes de la confusion entre faits et opinion est la généralisation de l’ignorance, de l’insincérité (ce que Timur Kuran appelle la falsification des préférences) et de la méfiance. György Tatar, un philosophe hongrois, parle de «vérités salvatrices » pour désigner « les connaissances qui rendent meilleurs leurs possesseurs par rapport aux autres ». Il ajoute que « ces “connaissances salvatrices’’ refusant toute approche du réel se veulent non pas une idéologie mais un savoir » (Controverses, n° 14, 2010, p. 181). Ce narcissisme du Bien rappelle les propos de Philippe Muray : « Le Bien, tout entier, contre tout le mal ! À fond ! Voilà l’épopée. Tout ce qui a définitivement raison contre tout ce qui a tort à jamais. » (L’empire du Bien, p. 27).

Michèle Tribalat

Réponse de Laurent Giovanonni
« Il n’y a pas de vérité objective en cette matière »

La démarche de Michèle Tribalat est intéressante dans la mesure où elle appelle une analyse des faits migratoires déconnectée de toute approche partisane ou idéologique. Il faut bien reconnaître avec elle que la question de l’immigration, depuis l’émergence du Front national au milieu des années 80, est devenue tellement sensible et passionnelle en France qu’il est bien difficile d’en débattre sereinement, sans que ceux qui en parlent soit immédiatement suspectés de parti pris, dans un sens ou un autre. Pour autant, cette volonté d’objectivation a nécessairement des limites. Tout d’abord parce que le fait migratoire étant d’abord la conséquence des déséquilibres économiques et démocratiques entre les États, il est et ne peut être qu’un phénomène par nature politique dans son appréhension. Ensuite parce que sa demande d’objectivation est louable mais un peu illusoire : on peut se demander si « l’immigration est un fait positif ou négatif ». De la même façon, on peut poser la question de savoir si « le libéralisme économique est une bonne ou une mauvaise chose pour nos sociétés ». On voit bien que dans ces deux interrogations, il ne peut y avoir de « vérité objective » et que toutes les réponses, ainsi que les outils et la démarche pour construire ces réponses, ne peuvent être dissociés d’une approche subjective. L’insistance avec laquelle Michèle Tribalat demande que soient séparés « les faits » et les « opinions » relève un peu de cette idéologie scientifique qui pense pouvoir appréhender et comprendre le « réel » de façon totalement neutre, alors que toute appréhension du réel est une construction. Le souhait de Michèle Tribalat d’une présentation honnête et sincère des faits et données relatifs au fait migratoire est louable. De là à croire et faire croire qu’il y aurait d’un côté des « vérités » et de l’autre des « opinions », il y a un pas qu’il ne faut pas franchir, sauf à tomber soi-même dans l’opinion.

Laurent Giovanonni, secrétaire Général de la Cimade