Sommaire du N° 822 (2020 T2)

" Je crois en la résurrection ! "

Noli me tangere - Capella dei Scrovegni - Padua

« Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté
vers mon Père ; mais va vers mes frères »  (Jean 20 : 17)

ÉDITORIAL

par le pasteur Béatrice Cléro-Mazire

DOSSIER

ACTIVITÉS DE L’ORATOIRE

  • Agenda des cultes
  • Activités

NOUVELLES DE L’ORATOIRE

  • Succès de la Vente 2019
  • La Révolte des Orgues
  • L’Assemblée Générale, le 29 mars 2020
  • Reconnaissance aux fidèles serviteurs de l’Église
  • Point financier
  • La Semaine Sainte, du 5 au 12 avril
  • L’Évangile selon Saint-Jean, le 20 juin
  • Pentecôte à l’Oratoire, le 31 mai
  • Escapade en Argentine par le Chœur de l’Oratoire, le 16 juin

CONTACTS

PRIÈRE

COUVERTURES :

  • première page : Noli me tangere, Giotto 1304-06 - Capella dei Scrovegni a Padua
  • dernière page : Le ressuscité, Germain Pilon, représentation faite pour Catherine de Médicis vers 1572. Musée du Louvre

Vous pouvez télécharger le bulletin au format PDF

Dossier du mois
"Je crois en la résurrection !"

ÉDITORIAL

Comment parler d’une chose qui n’appartient qu’au domaine de la foi, qui n’est étayé par aucune preuve tangible, et qui constitue pourtant le fondement central de la religion chrétienne ?
C’est ce défi que nous avons eu envie de relever dans ce nouveau numéro de la Feuille Rose.  En convoquant des points de vue très différents, tels que ceux de trois confessions chrétiennes distinctes, ou encore le point de vue éminemment symbolique de la musique, ou enfin celui, très pratique, de la confidence ; le dossier que nous vous proposons fait apparaître la résurrection comme une expérience dans laquelle l’être tout entier est convoqué, et où la scission classique entre l’âme et le corps vole en éclat pour laisser place à une vie unifiée.
Loin des dogmes qui obligeraient à croire à une compréhension unique de la résurrection, les articles qui suivent nous entraînent dans les possibles infinis de ce trésor de la foi chrétienne.
Au moment où notre église vit des moments de renouvellement et de changement qui nous engagent pour l’avenir, avec l’élection d’un nouveau Conseil presbytéral, penser la résurrection ne pouvait que nous encourager et nous faire découvrir combien ce qui est vaincu par la résurrection est bel et bien la peur de la disparition. Tout changement génère cette peur. Et pourtant, il est possible d’échapper à cette crainte en se plaçant dans une logique dynamique où le renouveau constitue la vie même. Les contributions à ce numéro de la Feuille Rose le montrent, et les activités de notre église aussi : les talents et la volonté de faire les œuvres du Seigneur ne manquent pas dans notre communauté.
Avec beaucoup de reconnaissance pour l’œuvre déjà accomplie, beaucoup de confiance pour ceux qui feront demain, et beaucoup de foi en l’aide de Dieu pour notre avenir, ce printemps promet d’être aussi jubilatoire qu’un Oratorio de Pâques.
 
Pasteur Béatrice Cléro-Mazire

DOSSIER

La résurrection : ce qu’en disent les confessions chrétiennes

Evangile de Marc, Fra Angelico, 1433-D.R.

"Je crois en la résurrection"

par P. Yves Trocheris, prêtre de l’Oratoire de France, curé de Saint-Eustache
 
En proclamant le credo, nous parlons de la résurrection à deux reprises : nous déclarons la résurrection du Christ, et nous manifestons notre espérance en la résurrection de la chair (Symbole des Apôtres) ou en la résurrection des morts (Symbole de Nicée-Constantinople).

Croire en la résurrection, c’est tout d’abord nous rapporter à l’acte même du Christ, dire que cet acte est essentiellement traversé par une résolution inattendue : par la volonté de Dieu (précisément, ce Dieu que Jésus appelle toujours son père et que tous les auditeurs de ses discours sont appelés à reconnaître comme le Dieu créateur), un homme choisi et désigné par Dieu comme son propre fils, lui cet homme Jésus, a été relevé de la mort, est passé de la mort à la vie éternelle. Croire en la résurrection, c’est croire simultanément que cet acte du Christ nous est, à chacun, destiné : la résurrection du Christ inverse le destin de l’humanité ; la résurrection du Christ délivre l’humanité de la mort pour la promettre à la vie éternelle. Quand je parle ici de la vie éternelle, je n’entends pas une vie qui, après avoir été interrompue, reprendrait simplement son cours pour ne plus finir. Non, il s’agit bien d’une nouvelle vie en ce sens précis où la mort ne l’atteint plus.

Une vie qui s’achève par la mort, et une vie autre, à savoir une vie où la mort n’existe plus. Comment saisir la différence entre ces deux formes de vie ? Parce que la disproportion entre le sentiment de nos vies et la réalité finale de l’univers est trop grande, percevoir cette différence, nous le pouvons à peine. Il faudrait cependant commencer à vouloir gagner cette différence, non pas en imaginant ce que pourrait être cette vie autre, mais plus simplement, en observant de plus près ce que nos quotidiens recèlent d’énigmes, en profondeurs cachées, en mystères de vie.
L’un de ces mystères est désigné par les philosophes sous le nom d’« être ». La morale et des religions, telles que le judaïsme et le christianisme, nomment ce même mystère « amour ». Et il est vrai, si nous souhaitons confesser avec authenticité notre foi en la résurrection du Christ et en la nôtre à venir, alors c’est toute notre liberté à aimer et non pas simplement notre capacité à comprendre qu’il faut mobiliser. D’où cette intuition : une vie où la mort n’existe plus est une vie librement sacrifiée au commandement de l’amour, l’amour de Dieu, l’amour de son prochain, l’amour de soi, tant et si bien que l’être en son essence ne peut plus être compris que comme communion. C’est bien au nom de ce commandement que l’homme Jésus accomplit pleinement la filiation que Dieu le Père lui confère. Et en l’accomplissant, il montre bien que la vie éternelle n’est pas une vie seulement possible au-delà du temps du monde, mais une vie déjà en germe dans l’histoire de l’humanité. Pour l’approcher, il faut peut-être simplement changer nos rapports à Dieu, à nous-mêmes, et au monde, et placer tous ces rapports sous le sceau de la grâce : accueillir tout ce que nous vivons de bon, de vrai et de beau, comme venant de Dieu lui-même, et considérer que l’accueil même de ce qui renforce nos vies dans l’être de communion vient encore de Dieu.

« Je crois en la résurrection » : il est peut-être ici beaucoup plus question d’une « disposition » de foi, voire d’une disposition existentielle, que d’un simple axiome dont la formulation nous garantirait la conformité de notre foi. Où et comment trouver cette disposition ? Comment parvenir à reconnaître qu’elle engage et porte notre être ?

« Sacrifier Dieu au néant, ce mystère, ce paradoxe de suprême cruauté était réservé à la génération qui se lève aujourd’hui … (Nietzsche, Au delà du bien et du mal). Ne plus préférer les ténèbres à la lumière, prendre parti pour le Dieu qui donne absolument et au delà de toutes nos attentes pour se manifester ainsi comme la véritable fin de sa créature. Il semblerait qu’en Dieu, le oui soit beaucoup plus originel que le non. Nous pourrions peut-être même affirmer : en Dieu, il est clair que le oui est le mot de la position originelle, le mot qui participe silencieusement et secrètement à tout ce qu’il agit et dit. Pour mieux étayer cet argument, il faudrait reprendre les belles analyses logiques que Franz Rosenzweig développe dans son ouvrage L’étoile de la rédemption sur le « oui-origine » de Dieu. En créant l’homme, c’est bien un « oui » que Dieu manifeste. En créant l’homme libre, c’est l’appel à partager ce même « oui » que Dieu destine à sa créature. Oui, en nous créant, Dieu a mis en nous cette disposition à rejoindre son propre oui. Il nous a placés devant cette promesse à recueillir de lui la vie dont la luminosité est totalement affranchie des ténèbres. Cette disposition, Jésus-Christ l’a vécue pour nous jusqu’à l’extrême. A sa suite et portés par le message de sa propre vie en Dieu et pour Dieu, trouvons tout à la fois cette grâce et cette liberté originelle à dire « oui » à la vie de Dieu ... « Je crois en la résurrection ».

La résurrection peut être expérimentée ici et maintenant

Entretien avec Julija Vidovic, théologienne orthodoxe


Pour la théologienne orthodoxe Julija Vidovic, professeur à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge, la résurrection commence dès maintenant par la divinisation de l’être humain.

Comment les théologiens orthodoxes orientaux ont-ils compris le mot de “résurrection” ?

La résurrection du Christ désigne la victoire absolue de la vie sur la mort. Cet événement donne un sens tout à fait nouveau à la vie et à la mort. Il peut être expérimenté déjà ici et maintenant à travers le vécu liturgique des célébrations de la Semaine Sainte. Pâques, c’est la certitude que tout a été créé par Dieu pour être en relation et en communion éternelle avec Lui. Entrer dans cette communion signifie entrer dans le processus éternel de la divinisation de l’homme.
 
La notion de divinisation, très développée dans le christianisme oriental, par laquelle l’homme “participe” de la nature divine, suggère-t-elle une continuité entre la vie terrestre et la vie céleste ?


Tout à fait. C’est d’ailleurs Jésus-Christ Lui-même qui le dit à Marthe en parlant de la résurrection : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jn 11,25).
Ce qui vient d’être dit ne veut pas enlever l’importance et la signification de la mort. La mort est un mystère et elle est un fait inévitable et certain. Dans cette vie, il n’y a qu’une seule chose dont nous pouvons dire que nous sommes sûrs : nous allons mourir, sauf si le second avènement du Christ ne se produit pas avant. Or, c’est seulement en affrontant et en acceptant la réalité de la mort que je peux être réellement et authentiquement vivant. Ma vie devient précieuse justement parce qu’elle possède une limite. Le fait de mourir lui donne donc un certain dynamisme qui peut s’exprimer de deux manières : soit comme un renfermement sur soi-même devant la peur ou la terreur de la mort, soit comme une ouverture devant la réalité de la vie offerte par le Christ.

Or, en Christ, il n’y a pas de morts. Cela est très bien dit par le prêtre missionnaire russe Macaire Gloukharev (1792-1847) dans une lettre adressée à un fidèle en deuil : « En Christ nous vivons, nous nous mouvons et nous existons. [...] Il n’y a qu’un Dieu, et vous êtes unis dans l’Unique. ».

Cette continuité entre le terrestre et le céleste implique-t-elle une espérance universelle pour tout être humain ?

Le Christ est venu au monde pour sauver toute l’humanité et, à travers l’homme, toute la Création. L’exemple le plus flagrant est celui du Bon Larron, qui a reçu le Royaume des Cieux, bien que ce ne soit pas en récompense d’une vertu. Il est un vrai témoin du fait que le salut nous est donné uniquement par la grâce et la miséricorde de Dieu.

La doctrine de l’apocatastase (la restauration à la fin des temps de toutes choses en leur état d’origine) peut être comprise de trois manières différentes, nous explique saint Maxime le Confesseur, qui corrige la doctrine d’Origène condamnée lors du Vème concile œcuménique en l’an 553. Origène parlait de « la certitude du salut universel » où tous, même les démons, seraient restaurés dans leur plénitude originelle après la Résurrection finale. Selon saint Maxime, nous pouvons parler d’une apocatastase vertueuse de l’être lorsque celui-ci agit de manière vertueuse, c’est-à-dire en conformité avec la volonté divine. Deuxièmement, l’apocatastase peut être comprise comme la restauration de toute nature créée en incorruptibilité et en immortalité par la résurrection. Et troisièmement, comme le rétablissement des puissances de l’âme pour pouvoir jouir de Dieu.

Or, pour pouvoir jouir de la présence divine et y participer dans sa vie, il est indispensable de s’attacher volontairement et librement à lui. Autrement, comme le dit saint Maxime le Confesseur, nous pourrons connaître les biens divins, mais nous ne pourrons y participer ; ou voir Dieu, mais rester éloigné de lui.

Ce qui pose problème dans la doctrine de l’apocatastase n’est pas la restauration de toute la création par la résurrection, mais la négation de la liberté et de la volonté humaine de s’unir ou non à Dieu. Le Dieu tout-puissant devient volontairement impuissant devant la liberté de l’homme. C’est le signe de son grand amour et son profond respect de l’homme.

Néanmoins, le rejet de l’affirmation du salut universel par la tradition orthodoxe n’interdit évidemment pas l’espérance en leur conversion finale à l’instar du Bon Larron.

Martin Luther s’était lui aussi tourné vers la voie ascétique mais il éprouvait une grande culpabilité de ne pas arriver à se conformer parfaitement à la volonté divine...

Il faut d’abord considérer la divinisation comme un don, et non comme quelque chose qui relèverait des capacités humaines. Maxime le Confesseur dit que Dieu crée l’être et donne toujours l’être. Les deux sont dans les mains de Dieu. Mais ce qui est entre les deux, c’est la manière d’être. Là est l’espace de la liberté humaine. On ne peut qu’échouer sans cesse, mais ce n’est pas grave ! L’homme est là pour se relever constamment.

Comment progresser dans la divinisation ?


C’est d’abord une manière d’être qui tente de se conformer à la volonté de Dieu. Même dans ce que l’on imagine être la vie éternelle, ce progrès est continu et la découverte progressive de la bonté divine ne pourra jamais être assouvie. L’homme ne peut jamais se rassasier de Dieu.

C’est aussi répondre à notre conscience. Essayer d’être le meilleur partout où l’on peut l’être, de l’ordre d’une exigence éthique, mais aussi dans la manière dont on regarde autrui et le monde. L’autre est parfois réduit à un objet, un moyen pour subvenir à nos besoins. Mais on peut essayer de transfigurer notre regard pour voir en l’autre quelqu’un qui est aimé par Dieu et que l’on aura à fréquenter éternellement. Alors toute chose devient extraordinaire. C’est aussi avoir une attitude de reconnaissance eucharistique (du grec eucharistein, “rendre grâce, remercier”). Ce chemin de conversion constante n’a pas de limite.

Propos recueillis par Raphaël Georgy

Le tombeau vide

par Laurent Gagnebin, pasteur et Professeur honoraire de la Faculté de théologie protestante de Paris

Quelques remarques préliminaires

En fait, mais on ne le vit pas suffisamment de cette manière-là, Pâques est la première fête de tous nos calendriers chrétiens. Pâques est inaugural parce que dans l’histoire du christianisme Pâques a été la première fête chrétienne célébrée et cela bien avant toutes les autres et même près de cinq siècles avant l’adoption définitive de Noël. L’année liturgique ne devrait pas, dans une compréhension fidèle aux données de l’histoire, commencer avec le temps de l’Avent et Noël (dont l’évangile de Marc, de Jean et les Épîtres de Paul ne parlent pas), mais bien avec Pâques qui éclaire et domine tous les textes du Nouveau Testament.

D’autre part, tous ces textes, ceux des évangiles et des épîtres, entre autres, sont écrits à partir de Pâques. C’est parce que les rédacteurs de ces récits bibliques croient que Jésus est vivant qu’ils nous parlent de lui. Sinon ils n’auraient jamais rien écrit à son sujet. Tout part de cette conviction, de cette foi première. Au cœur de l’existence des auteurs du Nouveau Testament, il y a la foi inaugurale en la résurrection. Les évangiles ne sont pas d’abord des vies de Jésus, plus ou moins fiables, historiquement parlant, et objectives, mais une confession de foi qui éclaire, porte, anime ce qu’ils relatent. Dans un certain sens – qui n’est paradoxal qu’en apparence -, on pourrait dire que pour ces auteurs, Pâques précède Noël et la naissance de Jésus, sa vie et sa mort. Pâques est donc doublement inaugural : d’un point de vue historique, parce que c’est la première fête que les chrétiens ont célébrée. D’un point de vue biblique également, parce que Pâques précède et domine l’écriture des textes du Nouveau Testament qui sont donc d’abord un témoignage de foi.

Enfin, il n’y a pas à proprement parler de « récits de la résurrection », comme on l’écrit souvent et à tort au sujet des événements de Pâques, et cela jusque dans les titres de différentes
versions bibliques. On nous dit dans le Nouveau Testament, plus particulièrement dans les textes qui annoncent la Passion de Jésus, qu’il ressuscitera ou dans les textes consacrés à Pâques qu’il est ressuscité. Jamais, on ne nous décrit la résurrection en tant que telle en déclarant, par exemple, « Regardez, Jésus ressuscite ». Il est là question par conséquent du ressuscité et non pas du ressuscitant. On aurait pu filmer la crucifixion de Jésus et non pas sa résurrection qui est en effet d’un autre ordre.
 
Le tombeau vide


Il ne convient pas d’utiliser les textes concernant le tombeau vide dans un sens probatoire. Le corps de Jésus se serait-il mystérieusement volatilisé ? En fait, si la résurrection de Jésus était matériellement, physiquement prouvée, il n’y aurait pas lieu d’en faire un « je crois » et, par conséquent un article du credo. On ne croit pas ce qui est prouvé, on le sait. Nous sommes toujours tentés par le confort de la preuve, parce que la foi implique un courage et surtout un risque. La foi toute nue nous inquiète : nous aimerions tant croire sans plus avoir à croire. Si Pâques est au cœur de notre foi, il faut le reconnaître honnêtement et ne pas dire, comme c’est trop souvent le cas, « je sais » là où en réalité « je crois ».

La lecture des textes bibliques nous introduit dans l’ordre du symbolique, du sens. Il ne s’agit pas de voir essentiellement ce que le texte dit, mais surtout ce qu’il veut dire et nous dire, son interpellation. Dans l’évangile de Luc (24,5), par exemple, au matin de Pâques, le Christ déclare à celles que la tradition appelle les saintes femmes : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? ». Ainsi, le récit du tombeau vide n’est pas une information, encore moins une information passée, mais, hier comme aujourd’hui, une interpellation, un appel.

C’est donc notre foi qui vide ce tombeau de toute réalité. L’événement de Pâques est un événement décisif de notre foi d’abord.  Je ne cherche pas Jésus parmi les morts, mais parmi les vivants.

Le tombeau vide n’est pas la cause de notre foi, il en est la conséquence. Je ne crois pas à la résurrection parce que le tombeau est vide, mais pour qu’il le soit. L’Évangile nous montre sans cesse Jésus luttant contre toutes les puissances mortifères ; sa mort même exprime par excellence cette vérité. Croire concrètement, quotidiennement au Christ ressuscité, ce sera dire oui à un combat pour la vie et dire non à des échecs qui nous anéantiraient, à la tentation du désespoir et de la résignation, au fatalisme et au triomphe de la violence meurtrière. Croire au tombeau vide, ce n’est pas adhérer à une croyance doctrinale et abstraite, c’est vivre concrètement une lutte pour le triomphe de la vie. 

Croire à la résurrection, c’est vivre une foi créatrice, s’engager.  Il ne s’agit pas de souscrire à une croyance, à une donnée lointaine. On peut dire de manière interpellante et sans en rester à un credo plus rhétorique que vécu : ce n’est pas parce qu’on me dit que Jésus est le Sauveur qu’il me sauve, mais c’est parce qu’il me sauve, me libère de la passivité, fût-elle stoïque, qu’il est vraiment le Sauveur pour moi. Ainsi, par exemple, un homme tombe dans une rivière ou un lac où il est en train de se noyer, et un passant le sauve. Celui qui a été sauvé des eaux dira-t-il « c’est parce qu’il était mon sauveteur qu’il m’a sauvé » et non pas plutôt « c’est parce qu’il m’a sauvé qu’il est mon sauveteur » ? De même, j’aimerais affirmer que ce n’est pas parce que Jésus est ressuscité qu’il me ressuscite, mais c’est bien parce qu’il me ressuscite qu’il est vraiment le ressuscité, et que je peux le confesser en vérité.

La résurrection, une expérience humaine

Parler de la résurrection en prison : sublime paradoxe !

par Agnès Adeline-Schaeffer, pasteur à l’Oratoire
et aumônier à la Maison d’Arrêt des Femmes de Versailles

En prison, les temps liturgiques sont des points de repères importants, qui relient le monde carcéral à la société extérieure. Force est de constater que Noël l’emporte largement sur Pâques, à cause de l’émotion suscitée, à cette période, par la séparation obligée d’avec les familles et les enfants. Néanmoins, je me suis risquée à parler de résurrection avec les personnes détenues que j’ai rencontrées, souvent à la période de Pâques. Lors des cultes, seule une poignée de personnes semblaient être réceptives aux récits de la résurrection, mais la majorité ne se sentait pas concernée. Les personnes détenues que j’accompagne ne sont pas toutes protestantes, ni toutes croyantes, mais elles veulent une rencontre avec quelqu’un qui représente le religieux, l’église.  Certaines sont imprégnées d’une culture ecclésiale classique : milieu catholique, baptême, un peu de catéchisme, communion, et pour un petit nombre d’hommes en particulier, un passage à l’église en tant qu’enfants de chœur. Ensuite, plus aucune pratique. Parfois un mariage religieux, pour une union qui n’a pas forcément duré.
Très vite, je me suis aperçue que les questions théologiques ou bibliques n’étaient pas la préoccupation centrale des entretiens. Il y a des questions autrement plus importantes, liées aux conditions de détention : la promiscuité dans les cellules, le nouveau rythme du quotidien, l’attente du procès, lorsque l’on est en maison d’arrêt, l’attente des parloirs, s’ils sont autorisés, et parfois, la conscientisation de la raison pour laquelle les personnes ont été emprisonnées. Une fois la peine prononcée, commence alors l’interminable compte à rebours, avant la sortie hypothétique. L’aumônier est ce témoin privilégié de cette palette de sentiments, bien souvent contradictoires, entre acceptation, déni, révolte, culpabilité. Il faut beaucoup de temps pour mettre en place une relation, dont on ne sait jamais à l’avance combien de temps elle va durer. 
Pour les personnes les plus croyantes, se pose la question de savoir pourquoi le Dieu en qui ils croient, ne les a pas empêchés de « mal tourner ». « Où était-il ce Dieu, quand j’étais sur la mauvaise pente » ? Commence alors, une longue période de relecture de la vie de la personne, où l’on tente patiemment d’échafauder des passerelles avec la foi. Un jour, j’ai rencontré un homme, en attente résignée d’un procès aux Assises, pour un meurtre, non prémédité. Croyant pratiquant, il se sentait honteux devant Dieu parce qu’il avait enfreint l’un des dix commandements. Il était doublement enfermé : en détention et dans son sentiment d’indignité. Il risquait la perpétuité, non seulement pénalement, mais humainement et spirituellement. Moi-même, j’étais enfermée dans mon préjugé sur les meurtriers. A sa demande, nous nous sommes vus chaque semaine, pendant plusieurs mois. Ensemble nous avons redécouvert comment, en Christ, Dieu était le « OUI » inconditionnel qu’il adresse à toute l’humanité, dont nous faisons partie. La résurrection du Christ est le symbole de ce OUI, dont rien ne peut nous séparer, ni même les échecs, les malheurs, les préjugés, ou la détestation de soi. Seul ce OUI permet de croire et de dire que nous portons en nous quelqu’un de plus grand que nous, qui encourage tout le monde, y compris les personnes détenues, à lutter pour que la vie ne soit jamais réduite qu’à nos actes, aussi sordides soient-ils. Parler de la résurrection en prison, c’est faire individuellement l’expérience d’un lent cheminement vers la libération de soi. Sublime paradoxe !  

A travers les larmes : la résurrection

par Béatrice Cléro-Mazire, pasteur à l’Oratoire

Annoncer la résurrection à une famille en deuil paraît incongru, et je dirai même, indécent. Comment annoncer que la vie a vaincu la mort à ceux qui, précisément se sentent vaincus par la mort de l’être cher.

Quand, dans la fonction de pasteur, nous accueillons une ou plusieurs personnes pour préparer des obsèques, nous accueillons d’abord leur angoisse devant ce vide laissé par leur proche.  Il n’est alors pas question d’édulcorer la situation en leur disant que la mort n’est rien, mais plutôt, de les rejoindre là où ils en sont de leur peine, de leur peur, de leurs regrets.

Souvent venus pour « régler » les questions touchant au rituel des obsèques, les endeuillées doivent pouvoir trouver plus que le rite et sa préparation, et c’est là que commence un long cheminement à travers les souvenirs, les expériences traumatisantes de la maladie, de l’accident, parfois de la mort violente ; mais aussi les expériences heureuses de rencontres, de partages, de fêtes, qui peuplent la vie vécue avec la personne décédée.

Dans ces rencontres, les familles sont souvent exténuées par les heures précédentes, durant lesquelles elles ont dû affronter le réel dans sa dureté, régler au plus vite toutes les formalités qui touchent à la disparition du défunt et à la survie de ceux qui restent. Il est donc essentiel de recréer un espace où le temps est large, libre de toute autre contrainte. Redonner du temps dans la l’urgence des obligations liées au deuil est déjà redonner de la vie, là où la mort semble oblitérer toute durée. Absolument disponible, présent à ce qui se dit, se tait et se murmure, le pasteur a alors la fonction essentielle d’écouter la mise en récit d’une vie, qui comme dans l’Évangile, commence par la mort.

D’anecdotes en évènements fondateurs, de particularités physiques en traits d’esprits, la silhouette de celui ou celle qui est mort,  se dessine petit à petit au gré des paroles,  des larmes et des rires, aussi, de ceux qui évoquent son souvenir.

Un entretien pastoral en vue de l’annonce de la résurrection ressemble à ce chemin décrit dans l’Évangile de Luc : celui des pèlerins d’Émmaüs. Dans les premiers pas, la peine, la révolte, l’impossibilité à envisager la disparition s’expriment, puis, l’évocation rend présent le disparu, petit à petit, le symbolique prend la place de ce réel affreux, il devient de nouveau possible « d’envisager » l’être cher, de retrouver son visage, jusqu’au moment où le constat est là : le disparu a été ressuscité par le langage.
Il est temps alors, de construire un rite, une forme symbolique de cette résurrection expérimentée dans la confidence. Ce sont alors les proches qui sont suscités comme témoins, capables de dire qui était leur mère, leur père, leur frère ou leur sœur ; leur enfant parfois.

Comme ces entretiens pastoraux le montrent, la résurrection ne s’annonce pas comme une nouvelle extérieure à soi-même. Elle n’a de sens que vécue. Dire à une assemblée que le Christ est ressuscité n’a de sens que si avec cette assemblée, le chemin tout entier a été fait, avec un aller, plein de peine et de regret ; et un retour vers les vivants, plein de reconnaissance pour ce que celui qui est mort laisse comme trace vivante dans ce monde. La prédication de la résurrection s’apparente à ce chemin de conversion.
Annoncer la résurrection à une famille en deuil, cesse d’être indécent quand on entre avec elle dans un tombeau pour y constater le vide et en ressortir avec elle, mu par le désir de témoigner. La force de la résurrection, c’est alors ce verbe qui se fait chair, cette parole qui met en mouvement, ce symbolique qui nous relie à ceux que l’on croyait perdus à jamais, et dont l’ombre s’allonge sur la terre, éternellement, à mesure que la lumière de la parole les éclaire.

Oratorio de Pâques

par Michel Petrossian, compositeur

L’imagination des artistes s’est toujours mieux exercée pour le drame, la tragédie et l’horreur que pour la félicité ou l’allégresse, sans doute parce que le premier lot fait davantage partie de l’expérience commune. Nul n’a été épargné par le chagrin, mais peu ont connu les moments de joie sans partage.

Jean-Sébastien Bach constitue une notoire exception. Sa Cantate de Pâques « Kommt, eilet und laufet », devenue Oratorio de Pâques, est tout entière frappée du signe d’allégresse. L’allégresse rutilante, mouvante et variée qui s’exprime dans un équilibre parfait entre méditation et narration.

Pourtant, la vie de Bach à Leipzig où il s’est installé depuis deux ans est médiocre : on est stupéfait par les clauses d’engagement dans le contrat qu’il avait signé avec la ville, et où il s’oblige par exemple à ne pas la quitter sans « la permission expresse de Monsieur le Bourgmestre », même en dehors de ses heures de service ! Les cancres qui peuplent les bancs de l’école à Saint-Thomas et qu’il est obligé d’administrer sont une source d’irritation chronique. Surtout, il a déjà perdu sa première épouse et trois enfants.

Mais Bach reviendra sans cesse à cette œuvre qu’il fait entendre pour la première fois en 1725, quelques heures seulement après l’audition de sa Passion selon Saint Jean. Il reprendra l’Oratorio de Pâques en le modifiant dix ans, puis sept ans plus tard. C’est comme si, se prémunissant contre les vents et marées de l’existence, il voulait rester près de cette sève vigoureuse, cette lancée vivifiante, ce petit motif de la joie fait de fanfares de trompettes, trilles jubilatoires des hautbois et roulements ternaires des timbales qui ouvrent l’œuvre.

Pour nous faire respirer, le hautbois (ou la flûte, dans la dernière version de l’œuvre) se déploie en une phrase infinie qui se risque de chute en chute, au bord d’une indicible mélancolie du mouvement suivant. Terminé en suspens, cet Adagio ouvre sur un duo de Simon-Pierre et de Jean dont les premières paroles (« Venez, hâtez-vous et courez ») ont donné son titre à la Cantate. La musique procède alors par des vocalises ascendantes, comme pour figurer ce mouvement de précipitation joyeuse. Les trilles des hautbois au début de l’œuvre reviennent ici, portés par les voix sur les paroles « Lachen und Scherzen » (Rires et plaisanteries) dont les syllabes rebondissent et se dispersent dans les vocalises.

Près du tombeau, les deux apôtres rencontrent Marie de Magdala et Marie mère de Jacques, et à ce bref récitatif succède le morceau le plus long de l’œuvre, qui en est aussi le plus dépouillé : la soprano seule (Marie, mère de Jacques) accompagnée d’une flûte et d’un clavecin.  « Mon âme, tes aromates ne doivent plus être la myrrhe », chante-t-elle, « car il ne faut que faire resplendir une couronne de laurier pour apaiser ton désir anxieux ». Le dernier récitatif de la basse (Jean) fera écho à cette méditation par des paroles révélatrices du projet même de Bach : « Nous sommes pleins de joie de ce que NOTRE Jésus vit à nouveau ». Notre Jésus …

Par le mouvement de la foi s’emparer d’un événement extérieur qui dépasse notre expérience et notre compréhension pour l’intérioriser et faire sien – voilà une invitation faite par Bach.  Dans les quatre premiers mouvements, il passe d’une festivité exubérante et extérieure à la joie intérieure et intime. Les mouvements suivants vont renouer progressivement avec l’exultation.

Accompagnés par le clavecin, les saintes femmes révèlent aux deux apôtres la résurrection, et dans les phrases courtes que les quatre personnages alternent le récit traditionnel est restitué, avec un accent particulier sur le linceul trouvé par Pierre. « L’air du sommeil » qu’il chante alors, entouré d’ondulations que murmurent les violons en sourdine et deux flûtes à bec, fait le parallèle entre sa tristesse mortelle qui s’évanouit en sommeil et le sommeil de Christ qui n’est plus.

Le récitatif des femmes et l’aria de Marie de Magdala disent le désir de retrouver ce corps absent, tristesse paradoxale qui fonde une joie nouvelle.

L’écoute sérieuse de cette œuvre en société suppose un effort sur soi : comment s’empêcher de sautiller soi-même, bouger, marquer la cadence, comment rester impassible face à ce rythme, cet élan de joie qui monte ? Comment ne pas répondre à ces deux timbales où Bach loge toute son alacrité en leur confiant des coups répétés, des notes qui alternent comme les pas de marche, une traduction sonore d’un triple « Amen » : l’un à la levée de la mesure, le deuxième sur le temps pour le marquer et le troisième pour bien l’ancrer dans la réalité. « Oui, il est vraiment Ressuscité ! », nous dit Bach.

John Eliot Gardiner, qui est l’un de ses interprètes les plus autorisés aujourd’hui, fait état d’une expérience de concert avec l’Oratorio lorsque des Sud-Africains dans la salle, non contraints par nos séparations entre musique, chant et danse, ont participé par une écoute active de l’œuvre qui s’exprimait par le corps !

Le dernier mouvement où un tutti instrumental, les solistes et le chœur renouent avec la joie indicible est une Invitation à faire résonner les voix jusqu’aux cieux.
Non pas par l’intensité du volume, mais par la force de l’intention, et par cette direction verticale, cette danse qui, de terrestre, devient céleste et qui situe tout homme dans une juste perspective d’une dignité retrouvée.