La communion musicale

Nicholas Burton-Page

Nicholas Burton-Page

Le chef d’orchestre franco-britannique révèle l’importance de la foi dans son travail.

Article du journal Réforme du 3 juin 2010
par Frédérick Casadesus

C’est une belle histoire, au cœur de Londres : un enfant de sept ans découvre le concerto en ré majeur pour violoncelle de Joseph Haydn et décide qu’il deviendra musicien. Nicholas Burton-Page est aujourd’hui chef d’orchestre, flûtiste, corniste.

De nationalité britannique, il a vu le jour le 15 janvier 1949. Son père a passé la guerre en Inde et, fasciné, s’est aussitôt destiné à l’histoire de l’architecture de ce pays  ; sa mère enseignait le français. Vaguement inquiets des dangers que présente le parcours d’un artiste, ils ont tout fait pour le convaincre d’embrasser une carrière traditionnelle. «  J’ai dû lutter contre deux parents adorables, quoiqu’ils fussent eux-mêmes instrumentistes amateurs, se souvient Nicholas. Inscrit dans un excellent collège où les élèves pratiquaient le rugby, j’ai travaillé le cor en dépit de mes qualités pour les mêlées ouvertes et, quand je suis parti pour Oxford étudier le français et l’allemand, je n’ai pas mené du tout le parcours prévu : je n’ai fait que de la musique. »

Un excellent français, le souvenir ému des poèmes de Rilke témoignent de la qualité de l’enseignement reçu. Mais la vocation s’est raffermie dans l’adversité : Nicholas Burton-Page est entré, par la grande porte, au Royal College of Music.
Il poursuit son étude du cor et vit pleinement sa passion pour Haydn. « C’est un ami pour la vie, dit-il encore. La mélodie toujours inventive et le goût de la modulation le caractérisent. » Mais la musique est aussi bonne fille : par un ami commun, Nicholas rencontre une jeune pianiste française, un coup de foudre qui dure depuis près de quarante ans.

De Londres à l’Oratoire

Le début des années 70 est marqué par un mouvement culturel majeur : la redécouverte de la musique baroque. De nombreux artistes se passionnent pour les compositeurs antérieurs à Jean-Sébastien Bach, ouvrent des partitions oubliées, se jettent sur des instruments anciens, moins élaborés que les violons et cuivres contemporains, cherchent à reconstituer le paysage sonore des siècles passés. Comme un symbole, Nicholas Burton-Page abandonne le cor pour la flûte à bec. En 1972, grâce à une bourse d’études, le jeune couple quitte Londres pour La Haye. Nicolas perfectionne son art au conservatoire royal de la ville, une institution dont Frans Brüggen est alors le maître incontesté.
Six ans plus tard, il part pour Saintes où l’appelle Alain Pacquier, fondateur du fameux festival de musique baroque. « C’était un inventeur enthousiaste qui travaillait avec cinq téléphones pour attirer les artistes les plus dynamiques, se rappelle avec humour Nicholas. J’ai donné des concerts et des cours, en même temps que William Christie, Ton Koopman ou Philippe Herreweghe, ce qui me rend assez fier. Nous avions le désir de faire partager notre ferveur au plus grand nombre et, par les trouvailles musicologiques, nous faisions entendre la musique ancienne d’une manière presque neuve. »
Pendant quelques mois, Nicholas et sa famille songent à élire domicile à Saintes. Mais les difficultés s’amoncellent autour des projets d’Alain Pacquier. Soucieux de poursuivre son parcours, Nicholas répond favorablement à la proposition du conservatoire régional d’Aubervilliers. Professeur de flûte au sein de ce conservatoire depuis 1979, il a formé de nombreux artistes désormais reconnus. Mais une forme d’arthrose l’a fait devenir chef d’orchestre – une expérience qu’il avait déjà menée à Oxford en dirigeant, tout jeune, la Deuxième symphonie de Brahms.
Quand il parle de ce poste de commandement, Nicholas décrit un poste de premier de cordée plus que celui de patron dictatorial. « Les fonctions de chef d’orchestre ou de musicien de rang ne sont pas incompatibles, souligne-t-il. Dans 80 % des cas, les musiciens pourraient jouer tout seuls. Mais je leur suis utile pour suggérer un tempo, pour guider, susciter l’adhésion. Ayant goûté aux difficultés d’instrumentiste, je connais leurs inquiétudes et suis parfois mieux à même de les aider. » Lorsqu’en 2001, Nicholas Burton-Page est devenu chef du chœur du temple de l’Oratoire du Louvre, à Paris, il s’agit d’un prolongement naturel, tant son travail de musicien se conjugue avec une foi profonde.

Un chef et la foi

« Adolescent, j’étais encore un anglican incroyant, révèle-t-il. Chris Farr, organiste et chef de chœur de l’église anglaise de La Haye, m’a progressivement aidé sur mon chemin spirituel. De surcroît, mon épouse est protestante. Sa famille, d’origine alsacienne et franc-comtoise, m’a accueillie d’une façon fabuleuse. » Aujourd’hui, Nicholas s’implique dans son église en tant que prédicateur laïc et recherche à approfondir sa connaissance de Jésus.
Quand il dirige un orchestre, il ressent fortement l’influence de sa foi, convaincu que la musique offre un fragile équilibre entre la chair et la parole. Il cherche avant tout à faire ressentir l’éphémère de la vie, encourage les musiciens à laisser vivre la musique, assimilant la mélodie à une promesse spirituelle. « Un jour que je dirigeais La Symphonie inachevée de Schubert, avec l’orchestre de jeunes Allemands, se souvient-il, un violoncelliste a sollicité mon avis sur la meilleure manière de jouer un trait. Je lui ai dit de laisser passer, m’inspirant des paroles du Christ à Marie de Magdala le jour de Pâques : “Ne me retiens pas.” Les musiciens ont marqué un silence et tout de suite ont intégré ce conseil dans leur façon de jouer. »
Parler de communion entre le chef et son orchestre n’est pas excessif . Nicholas Burton-Page ne cherche pas l’épate ou les effets de manche. Penché sur l’œuvre qu’il fait entendre comme un pasteur sur le Livre, il aime rendre intelligible et sensible la musique imaginée par le compositeur. Une démarche dénuée de narcissisme et marquée par une sincère humilité : « Dans l’idéal, que l’on n’atteint jamais, le chef d’orchestre devrait être le serviteur de tous, suivant l’expression que l’on trouve dans Marc 10. J’oublie très vite la présence du public afin de favoriser ce qui me semble essentiel, c’est-à-dire la rencontre avec l’œuvre. »
Afin de rendre possibles ces moments de grâce, il aimerait devenir transparent. « Mais avec l’habit à queue-de-pie et tout le business du concert, la chose n’est pas facile. » Efficace et drôle en bon disciple de Haydn…

Voir le site du journal Réforme

 

Une réponse

  1. Chantal Leveque dit :

    Quel bel hommage à NBP, qui fut pour moi un chef exceptionnel à l’Oratoire. Nous avons vécu avec lui des grands moments d’´harmonie et de spiritualité. Tous nos chefs Florian Hollard, Fabien Aube et Alexandre Korovitch nous ont apporté beaucoup et différemment

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