Dieu donne toute sa mesure dans la pluralité

Matthieu 18:19-20

Culte du 8 mai 2011
Prédication de pasteur James Woody

(Matthieu 18:19-20)

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Culte du dimanche 8 mai 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

"Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux.

Chers frères et sœurs, ce quote est souvent utilisé comme une sorte de consolation lorsque nous ne voulons pas désespérer du faible nombre de membres d’Eglise. Par exemple, la seule fois où cette formule est utilisée dans les liturgies de l’Eglise réformée, c’est pour le culte dit « pour petite assemblée ». Ce quote est donc censé agir pour nous consoler en période de disette, lorsque la communauté est clairsemée, en nous faisant réaliser que même si nous ne sommes pas nombreux, Dieu est quand même présent. Mais Dieu ne serait-il pas présent lorsque nous sommes seuls ? Cette promesse faite à Jacob « partout où tu iras, je serai avec toi » serait-elle devenue caduque ? Et, un peu plus tôt dans cet évangile selon Matthieu, n’a-t-il pas été dit que lorsque nous voulons prier il nous faut entrer dans la chambre la plus retirée (Mt 6/6) ? Le fait est que, même lorsque nous sommes seuls, Dieu peut être présent auprès de nous, comme il l’a été pour Moïse, comme il l’a été aussi pour Elie.

Oui, nous pouvons tout-à-fait éprouver la présence divine dans l’isolement, qu’il soit désiré ou subi. Néanmoins il y a ce quote, qui nous fait passer à la vitesse supérieure. Non plus un, mais deux ou trois pour que le Christ soit présent, c’est-à-dire pour que l’Eternel, reconnu dans sa capacité à agir dans l’histoire humaine, soit bel et bien présent. Il me semble que nous pouvons comprendre ce changement si nous cessons de prendre ce quote pour un réconfort en période de peau de chagrin ecclésiale et que nous le comprenons comme une exigence, comme un minimum théologique. Non plus comprendre cette phrase comme « même si nous ne sommes que deux ou trois, le Christ est présent parmi nous » mais la comprendre comme « Dieu peut donner toute sa mesure à la condition que deux ou trois son réunis au nom du Christ ». Ce quote ne serait pas qu’un pis-aller (oui, même si nous ne sommes qu’une poignée, Dieu est quand même là) mais l’exigence de la pluralité (ne soyons pas seul si nous voulons que Dieu agisse pleinement dans notre vie). Cette exigence de la pluralité se déploie dans trois aspects mis en évidence dans ce passage biblique, trois aspects qui sont les trois étapes de l’accomplissement de la prière. La pluralité est nécessaire à la demande, la pluralité est nécessaire pour obtenir des réponses à nos demandes, la pluralité est nécessaire pour mettre en œuvre ces réponses.

Tout d’abord la pluralité est nécessaire pour bien appréhender le réel, pour savoir ce dont nous avons vraiment besoin, pour bien définir notre demande. Lorsque deux personnes s’entendent au sujet de toute chose, dit le texte qui utilise le terme grec pragma qui donne en français pragmatisme, cela leur sera accordé. La première chose est donc de définir ce pragma, de savoir quelle est cette chose qu’il nous faut. Cette chose, ce n’est pas un concept flou, une sorte d’idée dont nous avons tout juste l’intuition. Cette chose, qui relève du pragmatisme, c’est, bien au contraire, quelque de très factuel, de bien réel, qui est tout sauf déconnecté de notre quotidien. Le pragmatisme, c’est intervenir sur le réel véritable, sur l’histoire vraie… c’est agir sur la vraie vie, comme nous le disons parfois, par opposition à la vie menée dans une sorte de bulle qui nous isole, qui nous éloigne de la réalité vécue par le plus grand nombre. Le pragmatisme, c’est l’incarnation dans le réel, dans ce qui existe vraiment. Et ce réel, pour le comprendre vraiment, il faut l’approcher par plusieurs voies. On ne connait bien quelque chose qu’en le regardant sous tous les angles. Il est dangereux de se contenter d’un point de vue. Il est préférable de croiser les regards, les témoignages, les définitions, pour connaître vraiment quelque chose. Les policiers interrogent plusieurs témoins pour essayer de reconstituer un fait. Les historiens interrogent plusieurs sources pour essayer de reconstituer le passé. Nous consultons plusieurs médias pour savoir ce qui se passe dans le monde. De même, on consulte plusieurs évangiles pour faire la connaissance de Jésus-Christ.

La pluralité est une condition pour appréhender le réel avec le plus de précision possible. On croise les expertises, les points de vue, on demande des contre-expertises, l’avis d’un confrère, on vérifie qu’on ne se trompe pas, du moins pas trop, car on n’arrive jamais à un savoir absolu sur les choses, encore moins sur les personnes. D’ailleurs, on parle bien des sciences physiques qui nous permettent de décrire la nature. Il n’y a pas de théorie unifiée en physique : plusieurs modèles d’explication cohabitent pour décrire notre environnement. La pluralité est nécessaire pour mieux connaître notre monde et donc nos besoins.

La pluralité permet de conjuguer les talents

A partir de là, une fois que nous avons défini notre besoin, nous pouvons passer à la phase de réponse. Là encore, la pluralité est envisagée comme une nécessité pour obtenir la meilleure réponse possible. La traduction a utilisé le verbe « s’accorder » pour rendre compte du verbe grec sumphoneo qui donne « symphonie ». Dans les deux cas, nous entendons que les individualités coopèrent, qu’elles se mettent ensemble, qu’elles interagissent pour obtenir un résultat. Le terme de symphonie est particulièrement éclairant : il évoque ces instruments, différents, qui jouent des partitions différentes pour produire un mouvement musical d’une amplitude autrement plus grande que ce qu’un instrument pourrait faire seul.

De la même manière, l’exigence de la pluralité pour nos affaires quotidiennes, c’est le moyen de nous permettre d’aboutir à des solutions autrement meilleures que celles que nous aurions obtenues seuls, isolés dans notre propre réflexion. Cette exigence de la pluralité, c’est une invitation à conjuguer nos aptitudes, pour faire mieux. Pour réaliser à quel point les décisions prises à plusieurs sont souvent meilleures, quand elles sont prises dans un climat symphonique où chacun peut jouer sa partition, il y a un test qui consiste à choisir dans une liste d’objets les 5 que l’on prendrait pour constituer un kit de survie. Le test consiste à faire choisir quelques personnes, chacun de son côté puis de rassembler les personnes et de les faire discuter pour obtenir une seule liste. La liste finale est le plus souvent meilleure que les listes individuelles parce que les compétences des uns dans un domaine ont pu compléter les compétences d’un autre dans un domaine différent. Qui penserait, par exemple, à prendre un imperméable en plein désert ? Celui qui sait que cela permet d’obtenir de l’eau par condensation, ce qui est précieux pour se désaltérer.

La pluralité consiste à valoriser l’individu, ses capacités, et à les mettre en relation avec les autres. Le choix de la pluralité, c’est considérer que nous construisons notre réflexion en confrontation avec d’autres qui nous permettent d’aller au-delà de nos propres capacités et d’obtenir des réponses plus satisfaisantes que celles que nous aurions eues, seuls.

Certes, le bon sens, un peu de jugeote nous apprend cela. Pas la peine d’aller chercher une justification dans la Bible pour savoir qu’on est plus forts à plusieurs. Certes, à ceci près que le bon sens n’est pas forcément la chose la mieux partagée et que chaque jour apporte son lot de décisions prises par des gens qui pensent avoir la science infuse, qui pensent pouvoir s’en sortir par eux-mêmes, qui méprisent l’intelligence des autres, qui dénient à autrui la possibilité d’apporter une contribution prépondérante pour trouver une solution à un problème. Certes, le bon sens rend cela évident. Mais l’approche théologique est loin d’être sans intérêt. Elle nous rappelle, ici, que la volonté de Dieu, que l’espérance de Dieu, nous n’en avons qu’une connaissance partielle, fragmentaire. Elle nous rappelle que Dieu n’est pas limité à ce que chacun peut en dire, tant et si bien que nous avons besoin des autres pour découvrir de nouveaux aspects de la révélation, pour mieux entendre et mieux comprendre ce que Dieu nous propose de vivre.

Envisager la pluralité sous son aspect théologique, c’est donc considérer que Dieu, qui se révèle aussi à d’autres que moi-même, qui se révèle aussi dans d’autres religions, dans d’autres livres que la Bible, dans d’autres disciplines que la théologique, dans d’autres expériences que la prière, et même hors de la religion, est aussi le Dieu des autres. Dès lors, le dialogue avec les autres, le débat avec les autres, devient une condition nécessaire pour découvrir Dieu qui se rend présent parmi les hommes. C’est la raison pour laquelle, ici, nous préférons l’étrangeté au semblable, que nous nous efforçons de vivre dans un esprit d’ouverture car il ne s’agit pas de gommer les individualités, il ne s’agit pas de lisser les aspérités, bien au contraire. Ce modèle dont nous nous inspirons dans notre vie d’Eglise est un modèle « anti-Babel », Babel étant cet épisode biblique qui évoque l’effort de certains pour uniformiser, standardiser, maintenir une seule langue, une liste unique de paroles et se faire un nom, un seul nom, au mépris des singularités, des spécificités de chacun. La réaction de Dieu est de créer de la différence, de créer de l’étrangeté. Et nous pensons que ces différences, cette étrangeté, rend notre monde plus vivable parce que plus riche et plus intéressant. Dieu n’est pas au milieu d’un groupe, d’une entité, mais au milieu d’individus qui sont ensemble.

Coopération des énergies

Enfin, le troisième aspect de cette pluralité nécessaire s’éprouve dans la réalisation. Une fois que nous avons trouvé ce dont nous avons besoin, que nous avons envisagé une solution, encore faut-il agir en conséquence, mettre en œuvre cette solution. Là encore, la pluralité semble de mise, selon le terme choisi par l’évangéliste Matthieu. Si la traduction laisse entendre que deux ou trois sont là, réunis, un peu à la manière de cette assemblée que nous formons, tranquillement assis, recueillis comme de belles fleurs qui auraient été cueillies puis qui seraient re-cueillis dans un bouquet, le terme grec sous-jacent est le verbe sunago qui donnera en français « synagogue » et qui exprime que nous marchons ensemble, que nous allons les uns avec les autres, que nous cheminons ensemble.

Outre le fait qu’il faut noter qu’il s’agit d’un verbe dynamique et non statique comme pourrait le faire penser la traduction par « assemblés », le préfixe sun, « avec », dit bien que nous sommes ici dans un modèle coopératif. Réaliser l’espérance de Dieu nécessite que nous combinions nos énergies, que nous associons nos talents, que nous unissions nos élans, que nous mettions en commun notre allant, notre cœur et que la réalisation ne repose pas sur les épaules d’un seul. Partager la tâche à accomplir, ce n’est pas seulement chercher une meilleure rentabilité, c’est reconnaître les autres comme capables de certains accomplissements. Et puis, disons-le clairement : l’Eternel ne peut agir s’il n’est pas relayé par des hommes et des femmes qui se mettent en mouvement comme Abraham, comme Jacob, comme Jésus, allant leur chemin pour coopérer au projet de bonheur que Dieu forme pour nous. Et parce que nous ne sommes pas, chacun, le Christ à part entière, il nous faut conjuguer nos talents et nos énergies.

Ainsi, je pense que ce passage n’est pas un cache-misère pour communauté ecclésiale dépérissante mais une invitation à multiplier les rencontres et les dialogues car l’Eternel est présent au carrefour des convictions.

Amen 

Lecture de la Bible

Matthieu 18:19, 20

Je vous dis encore que, si deux d’entre vous s’accordent sur la terre pour demander une chose quelconque, elle leur sera accordée par mon Père qui est dans les cieux. 20 Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux.

Audio

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